L'INFO. La chancelière allemande Angela Merkel a annoncé jeudi que son pays allait se doter d'un salaire minimum généralisé, une concession qu'elle doit faire aux sociaux-démocrates avec lesquels elle va gouverner. "Nous allons décider des choses que, au vu de mon programme, je ne considère pas comme justes, parmi elles un salaire minimum généralisé", a dit la chancelière.
Elle évoquait les tractations en cours depuis plus de quatre semaines entre son parti conservateur (CDU) et les sociaux-démocrates (SPD), pour rédiger un programme commun de gouvernement. Car, sans salaire minimum, ces négociations vont capoter, a-t-elle prévenu : "une appréciation réaliste (de la situation) montre que les sociaux-démocrates ne vont pas conclure les négociations sans" une telle mesure.
Revendication de la gauche. Le SPD milite pour un salaire horaire minimum de 8,50 euros pour tous. Ni la date d'introduction ni le niveau de ce Smic (le salaire minimum en France) à l'allemande ne sont connus, mais l'accord de principe des conservateurs constitue déjà une révolution en Allemagne, un pays qui s'en remet traditionnellement là-dessus aux partenaires sociaux.
D'ailleurs, la pilule a du mal à passer pour beaucoup. "Le salaire minimum fixe a ruiné l'Allemagne de l'Est", tempêtait le chef du gouvernement de Saxe-Anhalt (un Etat régional de l'est), le conservateur Reiner Haseloff, évoquant les salaires fixés par l'Etat dans l'ex-RDA communiste, "nous ne devons pas refaire la même erreur".
Le président récemment élu de l'association patronale BDA, Ingo Kramer, se demande "pourquoi la politique pense en savoir plus que les partenaires sociaux ?". Tout en jugeant "inacceptables" les salaires de misère qui ont cours par endroits, il assure qu'"il y a de bonnes raisons" pour que les salaires d'embauche soient faibles dans certains cas.
5,6 millions de salariés concernés. La nouvelle a été en revanche saluée avec enthousiasme à Paris. "C'est un signal (...) d'une approche peut-être plus coopérative des politiques économiques en Europe", a déclaré le ministre français de l'Economie Pierre Moscovici. Outre la France, l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), le FMI (Fonds monétaire international) ou les Etats-Unis ont appelé ces derniers mois l'Allemagne à soutenir sa demande intérieure pour aider à la reprise dans la zone euro. Un objectif qui passe notamment par une hausse des salaires allemands.
Selon l'institut économique DIW, 5,6 millions de personnes, soit 17% des salariés, gagnent actuellement moins de 8,50 euros, surtout les salariés peu qualifiés et à temps partiel. Le CDU avait déjà mis de l'eau dans son vin ces dernières années pour permettre l'introduction de seuils de salaire dans certains métiers mal rémunérés. Les coiffeurs, dont certains gagnaient trois euros de l'heure, ont ainsi maintenant un salaire minimum (de 8,50 euros), même chose pour les intérimaires ou encore les couvreurs.
Nuisible pour l'Emploi ? L'introduction d'un salaire minimum à petite échelle n'a pas conduit à une hémorragie d'emplois dans les secteurs concernés. Mais cela n'empêche pas milieux économiques et économistes de peindre un tableau apocalyptique du marché de l'emploi une fois que le SPD aura eu gain de cause. Dans leur dernier rapport, les "Sages", économistes influents qui conseillent le gouvernement allemand, y voient une "mesure nuisible à la croissance et à l'emploi".
Le DIW pour sa part prévient que l'introduction d'un salaire minimum n'aura sans doute pas les effets attendus sur les inégalités et le pouvoir d'achat des ménages, en particulier parce que quiconque gagne plus paie aussi plus d'impôts. L'institut recommande l'introduction d'un salaire plancher bas, qui serait progressivement relevé.
C'est ce que semblait suggérer en début de semaine Ilse Aigner, ex-ministre de Merkel et participante aux négociations CDU-SPD. Le salaire minimum voulu par les sociaux-démocrates "peut être un objectif, on n'est pas obligé de le faire tout de suite", selon elle.
Merkel impose le reste. Si elle cède sur le salaire minimum, la chancelière a martelé jeudi qu'elle restait opposée à des hausses d'impôts et à un assouplissement concernant l'âge de la retraite (67 ans). Et viscéralement attachée à l'objectif d'allègement de la dette de son pays. Conservateurs et sociaux-démocrates veulent boucler leurs négociations sur une coalition la semaine prochaine. Parmi les points d'achoppement figure encore la question de la doublé nationalité, voulue par le SPD, notamment pour les Turcs vivant en Allemagne.