L'INFO. Rio de Janeiro, Brasilia, Sao Paulo, Belo Horizonte, Porto Alegre… Tout le pays a été secoué lundi par les manifestations sociales les plus importantes depuis 21 ans. Et c'est à Rio, à un an du Mondial de football, que la contestation a été la plus forte avec des scènes de guérilla urbaine. Au total, près de 200.000 personnes sont descendues dans la rue.
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Qui sont les manifestants ? "La classe moyenne". La manifestation de Rio de Janeiro, la plus importante, a réuni lundi près de 100.000 personnes. Il s'agit principalement de jeunes qui se sont donné le mot via les réseaux sociaux, le catalyseur des nombreux mouvements simultanés dans tout le pays. Pour une fois, ce ne sont pas les populations des favelas, les quartiers déshérités du Brésil. "Il s’agirait plutôt de la classe moyenne, celle dont les salaires ne suivent pas l’inflation. Les manifestants ont le sentiment d’un développement du Brésil à trois vitesses. Les classes miséreuses sont en train de sortir de la misère. Les riches sont toujours plus riches. Et ceux qui sont au milieu ont le sentiment de ne pas avancer au même rythme", constate François-Michel Le Tourneau, spécialiste du Brésil, joint par Europe1.fr. Ils seraient aujourd’hui près de 40 millions à avoir rejoint la classe moyenne.
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Quel a été l’élément déclencheur ? Les transports, "un enfer ". Le Brésil connaît depuis la semaine dernière des manifestations régulières. La raison invoquée ? L’augmentation des prix des transports publics. "Il est vrai que la population brésilienne, surtout celle qui vit dans des quartiers périphériques, vit un enfer quotidien à cause de transports publics qui ne sont pas du tout au niveau du pays", constate François-Michel Le Tourneau. "L’annonce d’une nouvelle augmentation de ces tarifs sans améliorations de services a créé une espèce d’onde de choc", observe ce spécialiste.
Plus largement, le Brésil a dû mal à mettre ses villes au niveau de son développement économique. San Paolo, l’une des grandes villes du pays, est bien connue pour être un véritable chaos urbain. "Il y a des programmes lancés, notamment d’aides à l’acquisition et à la construction de logements individuels. Il y a des programmes d’infrastructures pour l’assainissement des égouts mais on est en train de courir derrière un déficit des infrastructures. Et le déficit ne se résorbe pas véritablement", affirme François-Michel Le Tourneau.
Une crise politique ? "Un divorce". Mais l’augmentation du prix des transports ne permet d’expliquer à lui seul cette flambée de contestations. Il y a des causes plus profondes. En raison des craintes de l’inflation, bête noire du pays pendant des décennies, le taux de popularité du gouvernement de la présidente Dilma Roussef a chuté pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir en 2011. "La classe politique brésilienne va découvrir le divorce qu’il y a entre elle -et notamment le parti des travailleurs de la présidente- avec le gros de la classe moyenne du Brésil qui est insatisfaite de choses qui se maintiennent : les scandales de corruption qui a émaillé le gouvernement de Lula et qui a continué sous la présidence suivante, la violence, l’inefficacité des services publics », affirme François-Michel Le Tourneau. "Il y a un vrai désenchantement à l’égard du PT, le parti des travailleurs car les gens pensaient qu’il allait faire le ménage mais en fait, il s’est comporté comme tous les autres partis", renchérit ce spécialiste.
D’autant que la présidente brésilienne souffre d’un déficit de "charisme" par rapport à son prédécesseur Lula. Dilma Roussef "n’a pas fait grand-chose. Elle gère l’héritage. Elle a lancé des programmes de grandes infrastructures pour équiper le pays et faire tourner la machine économique", analyse François-Michel Le Tourneau. En réalité, les manifestants ne se sentent pas concernés par ces réformes : "ils disent : ‘nous n’avons pas le droit aux allocations, on paye nos tarifs de bus extrêmement cher et on n’a pas les moyens de se passer des services publics inefficaces comme les riches", décrypte François-Michel Le Tourneau.
Une crise économique ? "Le Brésil se pensait à l’abri". Le Brésil a connu des années de vigoureux développement économique et social, notamment grâce à une démographie qui ne fléchit pas. Mais en ce moment, le pays traverse une passe délicate avec une croissance en berne (seulement 0,6% au premier trimestre 2013, très loin des 7,5% en 2010) et une hausse de l’inflation (6,5% sur un an en mai). Quelques exemples frappants : le prix des tomates a grimpé de 96% sur un an, celui des oignons de 70% et ceux du riz et du poulet de 20% et de 23% respectivement. "Les programmes sociaux capitalisent les classes les plus pauvres. Ces classes commencent à consommer. Il n’y a pas forcément de disponibilités de produits sur le marché pour tout le monde et du coup, les prix augmentent", analyse François-Michel Le Tourneau.
Une crise autour du Mondial ? Les manifestants protestent aussi contre les dépenses gouvernementales qui avoisinent les 15 milliards pour la Coupe du monde de football en 2014. "Le Brésil a cru que ce serait facile. Il était arrivé à un stade de maturité où il pouvait organiser ces événements. Le fait est que c’est beaucoup plus difficile que prévu. Il y aussi une part de mauvaises habitudes dans ce pays où l’on fait les choses au dernier moment et il y a des affaires de corruption qui s’invitent à tout les niveaux des négociations. Cela complique beaucoup les choses", explique François-Michel Le Tourneau qui conclut : "aujourd’hui, l’addition est en train d’être présentée".
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