"C’est un procès primordial pour la reconstruction du pays". Depuis lundi, quatre anciens dirigeants khmers rouges sont jugés pour les exactions perpétrées durant le règne de Pol Pot de 1975 à 1979. Sous le régime des khmers rouges, environ 1,7 million de personnes, soit 21% de la population cambodgienne, ont été exécutées ou ont péri de faim, de maladie ou d'épuisement dans des camps de travail agricoles.
Pour Marcel Lemonde, qui a instruit les procès pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité des hauts dirigeants du régime de Pol Pot entre 2006 et 2010, ce procès est une des clefs de l’avenir du Cambodge.
Europe1.fr : Le Cambodge a perdu 21% de sa population sous le régime des Khmers rouges. Ce vide se fait-il encore ressentir ?
Marcel Lemonde :"Démographiquement non, car le taux de natalité est élevé au Cambodge. Plus de cinquante pourcent de la population est née après 1979 et n’a donc jamais connu le régime des Khmers rouges. En revanche, l’impact des crimes commis à l’époque de Pol Pot se fait aujourd’hui ressentir sur la classe intellectuelle et politique. Il faut savoir que tout intellectuel était considéré comme hypothétiquement suspect. Une grande partie de l’élite a donc disparu. En 1979, il ne restait que cinq juges au Cambodge. Le pays est donc contraint de se reconstruire à partir de rien puisqu’il n’y a plus de cadre pour faire fonctionner le pays."
Europe1.fr : Quel rôle joue justement ce procès dans la reconstruction du pays ?
Marcel Lemonde : "Son rôle est double. Premièrement, il permet aux Cambodgiens de se réapproprier leur histoire. Avant la création du tribunal à Phnom Penh, personne n’avait jamais parlé de l’époque des Khmers rouges. Les plus vieux ne voulaient aborder ce sujet trop douloureux, et les plus jeunes ne croyaient pas que cela avait existé. Avant 2006, la plupart des personnes qui se rendaient à la prison S-21 (où près de 17 000 prisonniers ont été torturés puis exécutés, NDLR), étaient des touristes. Avec l’ouverture des procès des anciens dirigeants khmers, on a vu les Cambodgiens commencer à venir voir S-21. Deuxièmement, ce procès permet aux Cambodgiens de voir qu’une autre justice est possible. Près de 30.000 personnes sont venues assister aux audiences, qui ont aussi été diffusées à la télévision et ont vu qu’un Etat de droit pourrait voir le jour".
Europe1.fr : Mais il reste beaucoup à faire dans ce pays. Etes-vous optimiste pour l’avenir ?
Marcel Lemonde : "Oui, mais sur le long terme. Il y a encore peu de figures de l’opposition au Cambodge et les plus importantes sont en exil. Il faut donc raisonner sur la durée et ne pas mettre uniquement l’accent sur ce qui ne fonctionne pas ou sur ce qui est difficile dans ce procès. Quand je suis arrivé au Cambodge en 2006, le pays était à l’âge de pierre. Depuis il y a eu des transformations et des améliorations, même si tout n’a pas toujours été dans le bons sens."