L’exhumation. Ils travaillent à l’abri des regards, sous une grande tente blanche. A Isla Negra, sur la côte centrale chilienne, des médecins légistes procèdent depuis dimanche soir à l’exhumation des restes du poète communiste Pablo Neruda, mort en septembre 1973. Leur objectif : résoudre l’énigme de son décès, officiellement dû à un cancer. Mais ses proches assurent qu’il a en réalité été assassiné par le régime de Pinochet, qui le voyait comme un opposant potentiellement menaçant.
La version officielle. Le poète chilien, auteur notamment de 20 poèmes d’amour et une chanson désespérée, aurait été emporté le 23 septembre 1973 à l’âge de 69 ans par un cancer de la prostate, selon la version officielle. Une mort survenue douze jours à peine après le putsch du général Augusto Pinochet contre le président socialiste Salvador Allende, grand ami de Pablo Neruda.
L'exhumation du corps à Isla Negra :
Une mystérieuse injection. Mais cette version des faits ne convainc pas certains proches du poète. A commencer par son assistant et chauffeur, Manuel Araya, aujourd’hui âgé de 65 ans et qui assure que Pablo Neruda est mort quelques heures après avoir reçu une mystérieuse injection à la clinique Santa Maria à Santiago. Pour lui, comme pour le Parti communiste chilien, il ne fait aucun doute que le poète a été assassiné.
Naruda avait peur. Pablo Neruda se sentait menacé depuis le coup d’État et voulait quitter le pays. Gonzalo Martinez, ambassadeur du Mexique à Santiago, lui avait fourni un sauf-conduit et un avion se tenait prêt à décoller pour Mexico le 24 septembre. L’ancien diplomate ne croit d’ailleurs pas à la version officielle selon laquelle Pablo Neruda serait mort de "cachexie cancéreuse", un état de malnutrition extrême et de grande faiblesse". "Lorsque je l’ai connu, c’était déjà un homme malade, mais il n’était pas squelettique ni catatonique. Autrement je n’aurais pas envisagé de le mettre dans un avion pendant neuf heures", confiait Gonzalo Martinez en 2011 à l’Agence France-Presse.
Un reportage de 1973 sur les obsèques de Pablo Neruda :
Il aurait été un opposant trop prestigieux. Depuis l’exil qu’il préparait, Pablo Neruda serait devenu un opposant trop dangereux pour le régime de Pinochet, qui a donc préféré le tuer, soutiennent les proches du poète. A l’époque trois "voix" inquiétaient particulièrement le pouvoir : Salvador Allende, le chanteur Victor Jara et Pablo Neruda. "Allende est mort le jour du putsch [il s’est suicidé], Jara peu de temps après [assassiné après avoir été torturé], le seul qui restait était Neruda. Pourquoi ne pas éliminer ce troisième symbole ?", argumente l’avocat Eduardo Contreras, interrogé par The Guardian.
L'enquête s'annonce difficile. Avec d’autres, mais sans l’accord de la Fondation Pablo Neruda, Eduardo Contreras se bat depuis deux ans pour que la justice chilienne fasse la lumière sur ce dossier. Au départ peu convaincu par la thèse de l’assassinat, le juge Mario Carroza a fini par rassembler suffisamment de preuves pour ordonner l’exhumation des restes. Mais les analyses, sur lesquelles des laboratoires du monde entier ont proposé de travailler, risquent de s’avérer difficiles : depuis 40 ans, le corps, enterré tout près de la mer, a été exposé à l’eau et au sel. Il faudra donc plusieurs mois avant d’obtenir des résultats. Avec le risque que le mystère de la mort de Pablo Nerudo ne soit jamais résolu.