Elles ont kidnappé un général colombien, entraîné la suspension d’historiques négociations et se sont étonnées de la réaction de Bogota, avant de promettre la libération rapide du haut gradé. En Colombie, les Farc semblent avoir joué à un drôle de jeu cette semaine. Europe 1 revient sur ces événements qui ont fait craindre une rupture des pourparlers de paix.
Que s’est-il passé ? Les conditions de l’incident sont encore relativement floues. Dimanche, le général Alzate accompagné d’un autre soldat et d’une conseillère de l’armée se rendent dans un hameau, au beau milieu d’une zone contrôlée par les FARC. "Bien qu’habillés en civil, ils ont été capturés par nos unités car il s’agit de personnel militaire ennemi, qui était en fonction dans une zone de guerre", ont indiqué dans un communiqué les Forces armées révolutionnaires de Colombie.
Selon les autorités colombiennes, des hommes armés ont surgi des maisons pour les kidnapper. Mais des habitants réfutent cette version et affirment que les trois captifs ont discuté avec leurs ravisseurs avant de s’éloigner avec eux à bord d’une barque.
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Pourquoi cet enlèvement a fait craindre un arrêt des négociations? Quand Bogota apprend le kidnapping de ce général, le plus haut gradé jamais capturé par les guérilleros, sa réaction est immédiate. 1.500 soldats, 10 hélicoptères et avions, ainsi que des bateaux et des véhicules sont envoyés pour passer la zone au peigne fin. Dans la foulée, les négociations historiques qui se tiennent avec les Farc depuis 2012 à La Havane, à Cuba, sont suspendues. "Soyons clairs : bien que nous soyons en train de négocier au milieu du conflit, les Farc doivent comprendre qu’on ne parvient pas à la paix en redoublant d’actions violentes et en minant la confiance", a réagi Juan Manuel Santos, le président colombien.
Les FARC, elles, jouent l’étonnement. Pastor Alape, un membre de la délégation de la rébellion aux pourparlers de paix, a dit la "surprise" des guérilleros face à la réaction de Bogota. "Le processus de paix […] ne peut être menacé par des décisions impulsives", a affirmé la guérilla. Promesse est faite de relâcher rapidement le haut gradé. Vendredi, soit cinq jours après le kidnapping, l’opération de sauvetage était en cours.
Pourtant, si les autorités colombiennes se sont un temps retirées de la table des négociations, c’est que cette prise d’otages (de courte durée) n’a rien d’anecdotique. "Les précédents processus de paix ont presque tous échoué à un moment où une personnalité important était prise en otage", décrypte pour Europe 1 Daniel Pécaut, directeur d’études EHESS et auteur de nombreux ouvrages sur l’histoire de la Colombie. Or, en deux années de discussion, la guérilla et l’Etat colombien ont réussi à se mettre d’accord sur des points de friction importants, comme une réforme rurale ou encore la lutte anti-drogue. La fin des négociations serait hautement préjudiciable pour les Farc comme pour le gouvernement, qui "joue son va-tout" avec ces discussions impopulaires, selon le spécialiste de la Colombie.
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Alors pourquoi les FARC ont-elles kidnappé ce général ? Si Daniel Pécaut n’exclut pas totalement l’hypothèse "qu’un front des Farc ait séquestré un général de son propre fait", cela lui semble malgré tout improbable, car cette "importante péripétie" sert la stratégie des Farc dans les négociations.
Avec cet enlèvement, la guérilla colombienne a voulu mettre la pression sur les négociations afin d'"exiger en retour [de la libération du général] un geste du gouvernement colombien", analyse l’universitaire spécialiste du pays.
Depuis le début des pourparlers, Bogota refuse de signer un cessez-le-feu bilatéral. Les négociations se déroulent donc alors que la guerre est officiellement toujours ouverte entre l’Etat et la guérilla. Les Farc, elles, réclament de discuter dans un contexte apaisé. Comme l’explique Daniel Pécaut, les combattants colombiens se trouvent "en difficulté sur le terrain, dans la mesure où les forces armées colombiennes se sont modernisées". Elles veulent donc "éviter l’usure qu’entraîne la poursuite du conflit".
De là à mettre réellement en danger les négociations ? Daniel Pécaut en doute, car "les Farc comme le gouvernement ont un intérêt majeur à la poursuite des discussions" et des points importants des pourparlers n’ont toujours pas été tranchés, comme la question des éventuelles poursuites judiciaires que risquent les guérilleros, de la démobilisation militaire elle-même ainsi que la reconversion politique des Farc.
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