Comment la France finance Al-Qaïda

L'Espagnol Roque Pascual libéré après neuf mois de détention
L'Espagnol Roque Pascual libéré après neuf mois de détention © Reuters
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Le New York Times publie mercredi une enquête sur le business des otages, qui a rapporté au moins 125 millions de dollars à Al-Qaïda et ses filiales en six ans.

L'ENQUÊTE. La France a beau répéter à cor et à cri ne jamais payer de rançons pour ses otages, une enquête du New York Times vient contredire Paris avec des chiffres très précis. Depuis 2008, la France aurait déboursé un peu plus de 58 millions de dollars (43,3 millions d'euros) pour faire sortir ses ressortissants des griffes d'Al-Qaïda et de ses filiales.

Le journal américain dévoile pour la première fois des chiffres précis ainsi que les méthodes de paiement pour des butins qui ont considérablement enrichi les organisations terroristes. Al-Qaïda au Maghreb islamique, Al-Qaïda dans la Péninsule arabique (au Yémen) et les Shebab (en Somalie) ont ainsi pu récolter près de 165 millions de dollars (123 millions d'euros) en six ans.

Dans le top 5 des meilleurs "financeurs" du terrorisme islamiste, la France fait figure de bonne première avec 43,3 millions d'euros. Le Qatar et Oman ont, à eux deux, déboursé 15,2 millions d'euros ; la Suisse caracole à la troisième place de ce triste classement, avec 9,3 millions d'euros de rançons, puis viennent l'Espagne et l'Autriche.

Un plan de comm'. Depuis six ans, les pays européens ont ainsi largement abreuvé AQMI, AQPA et les Shebab, qui ont développé un véritable guide du bon kidnappeur, avec des stratégies pour tirer le maximum des Etats dont ils séquestrent les ressortissants. La communication avec les gouvernements s'est considérablement raffinée. D'une simple lettre déposée sous une pierre dans le désert, on est passé à un plan de communication rondement mené. Les ravisseurs possèdent désormais des téléphones satellites et une liste de numéros de téléphone et envoient désormais des vidéos, notamment à la chaîne qatarie Al-Jazeera.

Mokhtar Belmokhtar

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Grâce à cette stratégie bien rodée, le prix d'un otage est passé de 150.000 euros en 2008 à près de 7.5 millions d'euros aujourd'hui. "Grâce à dieu, la majorité des coûts de notre bataille, si ce n'est pas la totalité, a été payée grâce aux butins", écrivait en 2012 Nasser al-Wouhaychi, un leader d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique. "Et la moitié de nos butins vient des otages".

La naissance d'AQMI. Certains groupes islamistes vivent et fleurissent grâce aux rançons, explique le New York Times, qui a interrogé ex-otages, diplomates et experts sous couvert d'anonymat. Cet argent a permis à un groupe terroriste algérien de se faire accepter comme une filiale d'Al-Qaïda en 2007, désormais appelée Al-Qaïda au Maghreb islamique. Ils ont pu recruter et entraîner de nouveaux combattants. Et kidnapper d'autres Européens.

Etats-Unis et Royaume-Uni refusent de payer. Pourtant, tous les pays occidentaux n'acceptent pas de payer de rançons. Le Royaume-Uni ou encore les Américains ont toujours refusé de débourser de l'argent pour leurs otages. "Les Américains nous ont dit, encore et encore, de ne pas payer de rançon.", déclare un ambassadeur européen en poste en Algérie. "Nous leur avons répondu : 'Nous ne voulons pas payer, mais nous ne pouvons pas perdre nos ressortissants", explique-t-il.

Depuis 2008, note le New York Times, un très petit nombre d'otages ont été exécutés. Seuls 15% des personnes kidnappées ont été tuées par leurs ravisseurs. Les Américains et Britanniques qui se font enlever sont moins souvent libérés, plus souvent tués mais aussi moins nombreux. Un Britannique, Edwin Dyer, a été tué en 2009, après que le Royaume-Uni a envoyé un message aux ravisseurs, les assurant que l'Etat ne payerait pas.

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Comme le notent tous les experts sur le sujet, les Français sont devenus, avec le temps, des cibles de choix pour les ravisseurs. Sur 53 otages capturés par les branches d'Al-Qaïda en cinq ans, un tiers était français. "Il est évident qu'Al-Qaïda les vise en fonction de la nationalité", explique Jean-Paul Rouiller, le directeur du Geneva Center for Training and Analysis of Terrorism.

De "l'aide humanitaire". Comment, alors, les pays européens ont-ils pu faire passer inaperçu de telles sommes dans leur budget ? Le New York Times donne des pistes, en affirmant par exemple que l'argent français a transité par des entreprises dont l'Etat est actionnaire. Après une rançon pour un ressortissant suisse, le journal américain note que la même année, les députés suisses ont voté une ligne supplémentaire dans le budget nationale pour "une aide humanitaire pour le Mali", une stratégie que semble également avoir adopté l'Allemagne en 2003.

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