Un Britannique à la régulation financière. "C'est une grande nouvelle puisque 40% de l'industrie financière est au Royaume-Uni". David Cameron ne cache pas sa joie de voir "son" candidat Lord Jonathan Hill succéder à Michel Barnier au poste de commissaire européen aux services financiers. Dans la lutte d’influence qui a opposé les pays membres de l’UE pour placer leur champion à un poste-clé de la commission Juncker, la France a remporté un bon maroquin (l’économie et les finances avec Moscovici), mais le Royaume-Uni a lui aussi réussi son pari : occuper un poste-clé pour l’économie du pays, dont la puissance repose en bonne partie sur la finance.
Si cette nomination est une bonne nouvelle pour la Grande-Bretagne, en est-il de même pour l’Union Européenne ? Les avis sont partagés. Pour ses détracteurs, le parcours de Jonathan Hill - aussi connu sous le nom de Lord Hill of Oareford - ne laisse guère d’illusions quant à son envie et sa capacité à poursuivre les réformes du système financier engagé par son prédécesseur, Michel Barnier.
>> LIRE AUSSI : Cinq choses à savoir sur la nouvelle commission européenne
Lobbying et soupçon de conflit d’intérêts. Jonathan Hill a fondé en 1998 Quiller Consultants, un cabinet de lobbying qui compte pour clients la banque HSBC (en anglais), mais aussi Swift, la société de télécommunications financière, ou encore l’institution gérant la City de Londres. Sa prise d’intérêt dans ce cabinet avait d’ailleurs créé la polémique en 2013, comme le précise cet article du Daily Telegraph (en anglais): à l’époque, Lord Hill était le représentant du gouvernement à la Chambre des Lords (poste qu’il a quitté le 15 juillet) et a poussé pour que soit votée l’autorisation de rachat de terrains publics par Tesco. Tesco, leader britannique de la grande distribution, était alors conseillé par … Quiller Consultants. De quoi susciter les critiques à l’encontre de Jonathan Hill.
Un profil politique qui inquiète les partisans d’une régulation financière européenne.Politiquement, les positions du nouveau commissaire européen inquiètent certains parlementaires européens de gauche. Ils voient dans sa nomination un signe de revirement après le mandat de Michel Barnier, marqué par un retour à la régulation: l’intronisation de Jonathan Hill, connu pour son euroscepticisme modéré, pourrait poser problème. Les commissaires doivent en effet désormais passer devant une commission de parlementaires européens, chargée de valider leur nomination. Sur le blog du journaliste de Libération Jean Quatremer Les coulisses de Bruxelles, François Grossetête (UMP, groupe PPE) explique qu’elle "voit mal les députés accepter (…) Jonathan Hill". Son audition par la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, dans deux à trois semaines, s'annonce donc animée.
>> LIRE AUSSI : Le commissaire européen, mode d'emploi
Sur les traces de Michel Barnier ? Pour atténuer les doutes et les critiques, Lord Hill a donc affirmé sa volonté de poursuivre dans la voie du réformisme pragmatique tracée par Michel Barnier, à l’origine d’une réforme bancaire qui limite la capacité de prise de risque des banques européennes"Je veux bâtir sur l'important héritage de Michel Barnier pour s'assurer que nous disposions de marchés financiers stables et bien régulés", a-t-il affirmé peu après sa nomination. Sur BFM TV, son prédécesseur s’est refusé à tout "procès d’intention" envers M. Hill et attend de le juger "sur ses actes": "Jean-Claude Juncker a placé des gens qui savent de quoi ils parlent, Monsieur Hill sait ce qu’est la City et la régulation financière, je ne vais pas faire de procès d’intention. Monsieur Hill va être jugé sur ses actes. Il ne s’agit pas de s’attaquer aux services financiers, il s’agit de les superviser, et si possible publiquement", a expliqué Michel Barnier.
Le superviseur sera supervisé. Supervisé, Jonathan Hill le sera, puisque dans cette nouvelle commission, un système de contrôle des commissaires, placés sous l’autorité de vice-présidents, a été mis en place. L’ancien Premier ministre letton Valdis Dombroskis, chargé de l’euro et du dialogue social, aura le pouvoir de bloquer ou de formuler une initiative législative. Jonathan Hill sera donc supervisé, mais aussi très sollicité, comme l'analyse Greg Ford, le porte-parole de l'ONG Finance Watch. Contacté par Europe1.fr, il affirme que "l'un des enjeux majeurs du mandat de Jonathan Hill sera de prouver qu'il défend bien l'intérêt général face aux puissants lobbies du secteur financier (voir ce rapport très documenté en anglais). Ces lobbies réclament déjà une pause dans la régulation, mais ce serait une grave erreur : nous savons à quoi cette politique du laissez-faire a mené la dernière fois."
Le syndrome du too big to fail demeure. Pour Greg Ford, le chantier majeur qui attend Lord Hill sera de "privilégier la finance qui est au service de la croissance. Ce sont généralement les petites banques qui prêtent le plus aux PME, or, il est difficile pour elle d'émerger alors que le marché est dominé par les plus grandes banques qui recoivent des subventions les plus généreuses. De plus, ces grandes banques bénéficient encore du syndrome too big to fail", déplore-t-il. C'est-à-dire qu'elles peuvent se permettre de prendre des risques supplémentaires par rapport aux autres, sachant que les Etats interviendront pour les sauver en cas de danger de faillite.
>> LIRE AUSSI : Qui es-tu, Jean-Claude Juncker ?
Des chantiers d’envergure. Quelles que soient ces intentions, à compter du 1er novembre, date de sa prise de fonction, Jonathan Hill devra gérer des dossiers d’envergure. La régulation des services financiers, engagée par Michel Barnier, doit être achevée. Si de nombreuses normes plus contraignantes ont été appliquées au secteur bancaire, Jonathan Hill reprendra le dossier de la prévention, de la gestion et de la résolution des crises pour les établissements financiers autres que les banques. Ce sur quoi travaillait déjà l’équipe de Michel Barnier.
Mais qui ne vont pas assez loin. Que Jonathan Hill poursuive ou non dans la lignée du réformisme de Michel Barnier, certains observateurs estiment que rien ne changera vraiment et appellent à aller plus loin dans la régulation. Parmi eux, l’ONG Finance Watch, qui publie un rapport d’évaluation de la réforme bancaire. Si les experts qui ont étudié le sujet saluent les avancées réalisées (relèvement du niveau de fonds propres détenus par les banques pour limiter la prise de risques, mécanisme de bail-in qui permet d’éviter plus aisément les faillites…), ils aimeraient des mesures plus efficaces : "le diagnostic est bon, mais le remède risque de ne pas être suffisamment fort", explique Thierry Philipponnat sur le site AGEFI. En cause, des exigences encore insuffisantes sur la prise de risques des banques. Aujourd’hui les banques sont autorisées à emprunter 33 fois le capital propre qu’elles détiennent. L’ONG, elle, aimerait abaisser dans certains cas ce ratio à 20 fois le capital détenu. Reste à voir désormais quelles seront les prescriptions du docteur Hill, nouvel appelé au chevet des banques européennes.