Et si le Kremlin était le scénariste de la crise ukrainienne de 2014 ? C'est en tout cas ce qu'affirme mercredi Novaïa Gazetta, le journal où officiait la journaliste Anna Politovskaïa, assassinée en 2006, après avoir longtemps travaillé sur le conflit tchétchène. Le quotidien a mis la main sur un document où, selon la rédaction, figurent en sept points tous les derniers événements qui ont agité l'Ukraine ces douze derniers mois : de l'annexion de la Crimée à l'organisation de manifestations contre le gouvernement central de Kiev, du soulèvement du Dombass aux affrontements armés avec l'armée régulière ukrainienne.
Peut-on se fier à ce document ? Dans une guerre médiatique où la propagande et la désinformation ont toute leur importance, la question mérite d'être posée. Premier élément, le journal Novaïa Gazetta est connu pour son indépendance et ses prises de position libres et critiques envers le pouvoir du Kremlin. Si l'authenticité de ce document ne peut être prouvée pour l'instant, la rédaction affirme que sa source est sûre et que le document l'est aussi à 99.99%. "Nous avons reçu le texte au format Word, ce n’est pas un document officiel avec une signature ou des empreintes digitales des auteurs, mais il a été authentifié par des sources proches du pouvoir et très bien renseignées", précise Nadejda Proussenkova, journaliste de Novaïa Gazeta.
Quand a-t-il été écrit et consulté par Poutine ? De ce qu'on en sait pour l'instant, cette note, rédigée par des idéologues proches de Vladimir Poutine, aurait été déposée sur le bureau du président russe entre le 4 et le 12 février 2014, soit deux semaines avant la chute de Viktor Ianoukovitch, alors aux rênes de l'Ukraine. L'ancien président ukrainien n'y est pas épargné, il est qualifié "d'homme de peu de volonté" aux "qualités morales faibles".
Que contient concrètement la note ? Le texte est très froid, dénué de toute justification historique ou morale, ce qui montrerait également que les "racines russes" de la Crimée ou du Dombass et les références au passé commun martelées par Vladimir Poutine ne seraient que l'habillage politique d'une stratégie plus cynique aux intérêts économiques, géostratégiques et militaires.
Un intérêt économique au conflit. Le document dresse un bilan sans appel de la situation sur le front ouest pour la Russie : devant les manœuvres américaine et européenne pour détourner l'Ukraine du giron russe, Moscou doit réagir pour conserver son influence sur la région, en faisant pression notamment grâce à la manne gazière, dont dépend en grande partie l'Ukraine, mais aussi l'Union Européenne.
Et un avantage militaire. Autre intérêt pour la Russie à provoquer le démembrement de l'Ukraine, la possibilité de récupérer une bonne partie du complexe militaro-industriel ukrainien. En effet, la plupart des usines d'armements et des réserves militaires se trouvent dans l'est ukrainien, dans les zones où la Russie applique sa politique irrédentiste.
Chaque épisode marquant prévu par le texte. C'est ainsi que les auteurs de la note prévoient point par point tous les événements qui ont agité l'Ukraine depuis un an : Crimée, manifestations, référendums, soutien militaire aux séparatistes. Autre révélation intéressante, Novaïa Gazetta affirme que l'un des rédacteurs du document serait le richissime homme d'affaires russe orthodoxe Konstantin Malofeev, accusé de financer les miliciens du Dombass et sanctionné financièrement par l'Europe et les Etats-Unis. Quoiqu'il en soit, si cette information venait à être confirmée, ce serait la première fois qu'un document atteste noir sur blanc que le film de guerre du conflit ukrainien a un seul et même scénariste : le Kremlin.
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