BILAN - Le président a dirigé le pays pendant huit ans et la situation économique s'est dégradée.
La cible des critiques. Lors de son arrivée au pouvoir en 2005, il est perçu comme le sauveur du pays. Huit ans après, Mahmoud Ahmadinejad, le président iranien, qui va laisser sa place après l'élection présidentielle de vendredi, est au cœur de toutes les critiques. "Il voulait mettre l'argent du pétrole sur le tapis de chaque Iranien. Il s'est présenté comme un homme simple qui voulait promouvoir la justice sociale et lutter contre la corruption", explique Thierry Coville*, chercheur à l'Iris, professeur à Novancia et spécialiste de l'Iran, contacté par Europe1.fr.
>>> Aujourd'hui, beaucoup l'accusent d'avoir dilapidé la manne pétrolière dans des mesures et des projets inefficaces et d'être responsable d'une inflation galopante et d'un chômage élevé. Quel héritage laisse Ahmadinejad en Iran ? Eléments de réponse.
L'argent du pétrole dilapidé. "Jamais un président n'a eu autant de pétrodollars", a accusé le réformateur, Mohammad Reza Aref, un candidat à la présidentielle qui s'est par la suite désisté. Selon lui, l'Iran a eu 630 milliards de dollars de rentrées pétrolières sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013) contre seulement 173 milliards sous la présidence de Mohammad Khatami (1997-2005). "Lors de son premier mandat, il a énormément dépensé sur le plan social. Il a augmenté les salaires dans le secteur public. Ils donnaient des chèques à des gens qui avaient des doléances. Il a dépensé n'importe comment avec beaucoup de populisme et de clientélisme", affirme Thierry Coville.
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Puis, lors sa réélection en 2009 entachée d'irrégularités, le président iranien s'est lancé dans la réforme la plus ambitieuse depuis l'avènement de la république islamique : la fin de la politique des subventions, saluée par le Fonds monétaire internationale (FMI). Celles-ci ont coûté chaque année au gouvernement environ 100 milliards de dollars (74 milliards d'euros). L'objectif était d'éviter les gaspillages et de rationnaliser l'économie. "En échange, chaque Iranien a reçu un chèque. Pour les riches, ça ne représentait rien. Pour les autres ménages dans les zones rurales en Iran, ça représentait 15% du revenu annuel", assure ce chercheur spécialiste de l'Iran. Mais beaucoup reprochent à Ahmadinejad d'avoir continué à gaspiller l'argent dans des projets bâclés et dans des allocations aux Iraniens, afin de juguler une explosion sociale.
Chômage, inflation et pauvreté… Mais de fait, la situation économique n'a cessé de se dégrader depuis début 2012, en partie due aux sanctions économiques occidentales. L'inflation dépasse officiellement les 30% et la valeur de la monnaie nationale s'est dépréciée de près de 80% en un an et demi. Le coût du panier de la ménagère a augmenté de 63% sur un an, selon un professionnel du secteur. Le prix du pain a doublé et celui de la viande sextuplé. "Les Iraniens sont comme tous les électeurs, ils voient que la situation économique s'est dégradée. Il faut dire que les inégalités sociales se sont plutôt accrues sous le mandat d'Ahmadinejad", renchérit Thierry Coville.
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L'économie iranienne a peiné à se moderniser et à se diversifier. La production du pétrole, la principale richesse, est tombée à 700.000 barils par jours en avril, le niveau le plus bas depuis l'avènement de la République islamique en 1979. L'automobile, premier employeur du pays après le secteur pétrolier, a vu sa production diminuer. Le coût des transports a explosé…
Le pays est isolé à cause d'Israël et du nucléaire. Cette situation économique est aussi en partie liée à la question nucléaire, au cœur du conflit avec l'Occident. L'Iran est engagé dans un bras de fer avec les grandes puissances, qui soupçonnent son programme atomique, relancé en 2005 après l'arrivée de Mahmoud Ahmadinejad, de cacher un volet militaire. Depuis le début, Téhéran dément toute ambition guerrière et exige que son droit à l'énergie nucléaire civile soit reconnu. L'ayatollah Khamenei a régulièrement affirmé que la bombe atomique était "haram", c'est-à-dire interdite par la loi islamique. Car en effet, cette politique étrangère n'est pas l'œuvre uniquement d'Ahmadinejad. Elle incombe au guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, le numéro un iranien, classé 21e sur la liste des personnes les plus puissantes du monde, selon Forbes. C'est lui qui tire les ficelles. "Ahmadinejad n'est pas seul à diriger l'Iran. Le soutien à la Syrie, la politique nucléaire du régime, ce sont des axes du régime. Toutes les instances participent à cette décision. Ce choix de continuer à enrichir l'uranium avait été pris avant l'élection d'Ahmadinejad. Il y a avait un consensus dans les élites qu'il fallait être beaucoup plus dur l'Occident", assure Thierry Coville. Chaque gouvernement de province, chaque ministre, chaque chef d'une entreprise d'Etat, chaque patron de fondation religieuse est doté d'une émissaire de l'autorité religieuse, rapporte Le Monde.
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Toutefois, le show médiatique permanent, le ton belliqueux, les provocations à l'encontre d'Israël qu'il veut "rayer de la carte", ont contribué à cristalliser les tensions autour de sa personne. "Entre Mohamed Khatami (président entre 1997 et 2005, ndlr) qui était souriant, un intellectuel qui parlait d'ouvrir la société iranienne et Ahmadinejad, ce n'est pas la même image… Il est souvent dans la provocation. Ça a contribué à isoler l'Iran", affirme Thierry Coville. Au total, après l'arrivée d'Ahmadinejad au pouvoir, le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté, entre 2006 et 2010, pas moins de six résolutions dont quatre assorties de sanctions contre l'Iran. Le futur président devra donc éviter les "excès" d'Ahmadinejad. Le favori du scrutin n'est autre que le favori du Guide : Saïd Jalili.
* Iran : la révolution invisible, La Découverte, 2007.