"On retrouve la radio, le travail, les camarades"
Ses premiers mots ont été pour sa radio et ses collègues. Lundi, Didier François était de retour à Europe 1 : Je les ai attendus longtemps. Gros avantage, quand on travaille pour Europe 1 et le groupe Lagardère, on sait qu'on a tout ça derrière, cette formidable rédaction, ce formidable enthousiasme, qui pousse. Je n’ai pas douté une seconde, on voit chacun d'entre eux, on sait qu'ils sont à leur place, en train de chercher de l'info, de tout faire pour que ça se passe bien. Je vais vous dire, c'est extrêmement réconfortant dans ce genre de situation, ça m'a fait tenir 10 mois. Il y a évidemment beaucoup d'excitation. C'est quand même un moment très très fort. Il y a beaucoup d'émotion très contenue, vous l'entendez à ma voix."
"Oui, il y a eu des simulacres d'exécution"
S’il avait conscience des risques qu’il prenait - "ça fait 30 ans que je fais ce métier, que je fais les zones de guerre, donc c'est un risque relativement intégré" - Didier François reconnait tout de même que "oui, des fois", il a eu peur de mourir en Syrie : "Honnêtement, je me suis pas focalisé là-dessus. Si on se focalise dessus avant que ça arrive, on se met en vrac deux fois pour rien. Il est toujours temps de s'inquiéter vraiment au moment où les choses vont se faire. L'idée de base, c'est pas de se dire : ‘ouh la la, je vais mourir’. Et notre confrère de raconter l’existence "simulacres d'exécution. Un pistolet sur la tempe, etc. Ça fait partie des gammes, des exercices de base. Grosso modo, tant qu'il y avait un espace pour la discussion ou de la négociation, je n’ai jamais vraiment cru qu'on y était. Les simulacres d’exécution ne m’ont jamais vraiment inquiété parce qu'on voyait trop que c'était de la pression. Le jour où ils auraient décidé de me flinguer, ç’aurait été ritualisé."
Bien que risquée, Didier François ne regrette pas une seconde sa décision de se rendre en Syrie :
"On était dans des sous-sols"
Après dix mois de détention, les otages sont revenus fatigués, mais en bonne santé, bien que leurs conditions de vie aient été très compliquées : "d'abord, ce sont des conditions de détention en zone de guerre avec parfois des enfermements très proches des lignes, des combats autour. Les privations qui touchent l'ensemble des Syriens, plus le fait qu'on a été tout de suite menottés. On était dans des sous-sols. Sur les 10 mois et demi, on a dû passer 15 jours trois semaines dans une maison où on avait vue sur l'extérieur. Le reste du temps, on était dans des caves avec des portes en fer, des barreaux sur tous les interstices." Ont-ils été torturés ? "Quatre jours sans manger et sans boire… Au 4e jour sans boire, on commence vraiment à être mal, menotté à un radiateur et oui, des coups. C'est un peu pour casser les velléités de résistance. Après, ça change un peu. On était séparé pendant la phase d'interrogatoire."
"On passe des journées entières à attendre"
Edouard Elias, photographe retenu avec Didier François, était également présent lundi matin pour raconter ses conditions de vie pendant 10 mois : "intellectuellement, on n’a rien ! On est complètement coincés, on ne sait pas ce qui se passe dans le monde alors qu'on avait l'habitude de passer la journée sur les informations, voir ce qui se passait, parler à nos sources, nos contacts... On se retrouve dans une situation où il faut attendre. On passe des journées entières à attendre, à ne pas pouvoir avoir d'activité physique, mentale... Ça a été compliqué à gérer."
"On a fait des jeux d’échecs avec des boîtes de fromage"
Dix mois de détention, c'est long, et il faut bien passer le temps : "Edouard me faisait la lecture car ils m’avaient piqué mes lunettes ! On avait réussi à récupérer un stylo, que l’on cachait quelque part, donc on a fait des jeux d’échecs avec des boites de fromage et on a fait pas mal de parties."
Les pièces d'échec d'Edouard et Didier. Cliché pris avec mon téléphone, mais par Edouard. #e1matin#librespic.twitter.com/AiEwjT5Ub2— Pierre de Cossette (@Pdecossette) 21 Avril 2014
"On a fait une grosse bataille de boules de neige"
Dix mois de détention, c’est long. Mais Didier François raconte tout de même qui pourrait presque faire sourire : "le premier jour de neige, les gardes sont rentrés dans la cellule, nous ont fait mettre à genoux dans la cellule, comme s'il y allait avoir une fouille ou quelque chose de plus brutal. Ils m'ont dit : "Didier, ne te retourne pas", parce que c'est moi qui me retournait pour discuter avec eux. Puis ils ont fait comme s'ils allaient distribuer de la nourriture, une phase importante pour nous. Ils ont fait : "A qui on va donner cette part ?" J'ai fait : "Ben, tu la donnes à...". Il dit ensuite : "Et toi, tu veux une grosse part ?" "Ben si tu me donnes une grosse part, je vais la prendre." Il m'a balancé une grosse boule de neige, et on a fait une grosse bataille de boules de neige. Il ne faut pas non plus imaginer qu'on a passé dix mois suspendus au plafond. Et c'est pas non plus parce qu'il y a eu cette bataille que les relations ont été détendues pendant 10 mois."
Retrouvez l'intégralité de l'interview :
Didier François et Edouard Elias de retour à...par Europe1frEN IMAGES - Didier François est de retour à Europe 1 !
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