La frontière turque, une succursale de l’Etat islamique. Dans la zone, des hôtels ont été transformés en camp de transit pour futurs combattants de l’Etat islamique. A la frontière turco-syrienne, il n’est pas rare de croiser des Français, des Belges, et toute une kyrielle de nationalités. Ce point de passage obligé des aspirants jihadistes, succursale de l’EI, sert d’antichambre avant de passer la frontière, mais aussi de centre commercial. Un supermarché des armes qui fait le bonheur des contrebandiers. L’un d’entre eux, que nous appellerons Abou Leis, s’est confié au micro de l’envoyée spéciale d’Europe 1 Gwendoline Debono.
>> Ecoutez le témoignage d’Abou Leis, trafiquant d’armes et agent de liaison pour l’Etat islamique, recueilli par l’envoyée spéciale d’Europe 1 Gwendoline Debono
Multinationale de la pègre. Ce Syrien raconte son rôle dans cette multinationale de la pègre. Chargé de faire passer les candidats au jihad de la filière tchétchène, Abou Leis donne donc dans le trafic d’êtres humains, mais surtout dans le commerce d’armes. Pour illustrer les ressorts de son florissant business, il prend l’exemple d’une "commande" passée pour 37 jihadistes étrangers. La transaction se déroule dans une des chambres de ces hôtels qui fleurissent à la frontière. "Il fallait 4 mitrailleuses, 24 kalachnikovs, 24 missiles anti chars et des munitions. J’ai fait le total : 100.000 dollars. Ils ont alors écrit le montant sur un papier puis ils sont allés dans leur chambre pour téléphoner."
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"Ils voulaient me couper la main." Si le commerce est lucratif, il n’est évidemment pas sans risques. Abou Leis a cette fois dû négocier pour s’en sortir indemne. "Deux jours plus tard, ils sont revenus avec un sac, l’un d’eux l’a ouvert et a fait des liasses de 10.000 dollars pour recompter. Au moment de la livraison, près de la frontière, ils ont examiné le lot, l’un d’eux a dit : 'la qualité n’est pas terrible.' J’ai dû parlementer parce qu’ils voulaient me couper la main", explique le passeur.
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Comment surveiller les filières jihadistes ?par Europe1fr"Les Français viennent pour tuer et être tués." Abou Leis traite donc avec les Tchétchènes, mais il lui arrive de croiser des Français, comme Franck, qu’il croise un jour à Alep, en Syrie. Comme beaucoup de ressortissants français, Franck "ne parlait que quelques mots d’arabes appris dans le Coran." Pas de quoi réellement s’intégrer dans l’organisation de l’Etat islamique. Le trafiquant souligne que comme Franck, les Français "viennent surtout ici pour tuer et être tués c’est tout. Comme ils disent, pour les vierges et le paradis."
Le "trafic de paradis", une rente de 15.000 euros par mois pour Abou Leis. Ce "trafic de paradis" brasse des sommes considérables, de quoi assurer à Abou Leis une rente de 15.000 euros par mois. Et la demande est telle que le contrebandier ne parvient pas toujours à suivre le rythme. "Il faut toujours faire passer plus de combattants, un groupe de 60 et puis encore un autre. Au total, j’ai fait passer près de 1.000 Tchétchènes. Il faut toujours plus d’armes, les arrivants sont prêts à payer n’importe quel prix. A un moment je n’arrivais même plus à trouver de la marchandise. Ils me disaient : 'combien tu veux il nous faut des kalachnikovs !'. C’est fou l’argent qu’ils ont," s'étonne Abou Leis.
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Des ressources naturelles qui assurent le financement de la guerre de l’Etat islamique. Aujourd’hui, les spécialistes estiment que les forces de l’Etat islamique comptent entre 5 et 10.000 soldats. Pour financer sa guerre, l’Etat autoproclamé peut puiser dans des réserves naturelles non négligeables. Il possède 20% des réserves en pétrole du sol irakien et 40% des ressources pétrolières syriennes.
"Dieu vous jugera comme un assassin." Aujourd’hui, Abou Leis a rompu avec l’Etat islamique, par crainte, mais aussi par dégoût. Il évoque le train de vie luxueux de certains membres de l’organisation, comme cet émir du Koweït : "Cet émir vivait seul avec sa femme et ses garçons dans une villa ou plutôt dans un château avec une dizaine de chambres, parking et jardin, mieux que n’importe quel Syrien, si vous vivez comme ça, Dieu vous jugera comme un assassin", professe le trafiquant. Abou Leis est donc bien décidé à quitter bientôt la Turquie. Et pour cause, il le sait : "Avec l’Etat islamique, la première faute que vous commettez est aussi la dernière."