A Monrovia, depuis quelques semaines, on ne se sert plus la main. La capitale du Liberia vit dans la peur depuis que l'épidémie de virus Ebola, qui a débuté en Guinée, a fait son apparition. Dans la nuit de mercredi à jeudi, la tension est encore montée d'un cran quand la présidente du Liberia, Ellen Johnson Sirleaf, a décrété l'état d'urgence. La fièvre hémorragique y a déjà fait 282 morts, contre 363 en Guinée, 286 en Sierra Leone et deux au Nigeria. La psychose a gagné Monrovia, raconte à Europe 1 Abdullai Kamara, 41 ans. Ce militant des droits de l'Homme, également président du syndicat de la presse dans le pays, s'applique à diffuser des informations fiables sur la maladie. Mais la tâche est difficile, tant les rumeurs sont nombreuses.
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"C'est la panique". Dans la capitale, la prise de conscience n'a pas été immédiate. L'épidémie a débuté en février, chez le voisin guinéen. "Au début, il y avait beaucoup de déni", explique-t-il. "Mais ces dernières semaines, les gens ont commencé à avoir de plus en plus peur du virus Ebola", assure le militant. Maintenant, à Monrovia, "c'est la panique". Ce qui fait peur, décrit-il, "c'est qu'on ne peut pas détecter les malades en un coup d'œil : les gens ont peur que des personnes infectées les contaminent".
Des rues désertes. Résultat : "plus personne ne se serre la main !". "Quand les gens se rencontrent, ils gardent les mains dans leurs poches", raconte Abdullai Kamara. Des mesures ont aussi été prises dans les bâtiments. "Dans ma résidence et au travail, vous ne pouvez plus entrer sans vous laver les mains, parce qu'on ne sait pas d'où vous venez. Et si vous sortez de ma résidence, même si ce n'est que pour une minute, vous êtes obligés de vous laver les mains, avec une solution hydro-alcoolique", explique-t-il. Les rues de Monrovia sont quasiment désertes : le gouvernement a mis en congé forcé tous les fonctionnaires jugés non essentiels.
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Ses enfants cloîtrés à la maison. Les écoles ont aussi été fermées. "En ce moment, ce sont les vacances, mais les écoles servent aussi de centres de loisirs", explique Abdullai Kamara. Lui se dit "personnellement inquiet", particulièrement pour ses quatre enfants, âgés de 3 à 12 ans, qui restent chez lui. "Mes enfants n'ont plus le droit de sortir : je leur ai dit de rester à la maison", confie-t-il. Bon nombre de ses amis font de même avec leur famille.
De la rumeur à l'émeute. Depuis le début de l'épidémie, "il y a toutes sortes de rumeurs qui circulent sur le virus Ebola". Certains assurent que le virus a à voir avec la sorcellerie. D'autres pensent qu'Ebola est une invention des organisations humanitaires pour lever des fonds. Bien souvent, le ressentiment est dirigé contre ceux qui tentent de soigner les malades, parfois accusés de voler les organes des morts pour les revendre ou d'infecter sciemment des personnes pour tester des médicaments. "L'une de ces rumeurs a provoqué une véritable émeute dans un hôpital public", décrit Abdullai Kamara. Autre effet pervers : "des gens qui sont malades préfèrent se cacher plutôt que de se rendre à l'hôpital", souligne celui qui entend tordre le cou aux rumeurs.
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"Ebola in Town", numéro un des charts. Il n'est pas le seul. Signe que l'épidémie imprègne désormais tous les aspects de la vie quotidienne, des rappeurs s'en sont emparés. Dans leur titre "Ebola in Town", sorti au printemps, ils prodiguent des conseils, sur fond de dance : "ne touche pas tes amis, ne mange pas n'importe quoi, c'est dangereux".
Le clip de la chanson (attention, certaines images sont choquantes) :
"Ce genre de chanson peut être utile", juge Abdullai Kamara, qui voit beaucoup de jeunes la fredonner. Une façon comme une autre de faire passer des messages de prévention et, souligne Abdullai Kamara, de pousser des malades à se rendre à l'hôpital au lieu de se cacher.
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