La crise couvait depuis l’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie. Les tensions en Ukraine ont poussé les Occidentaux à prendre des séries de sanctions, notamment financières, contre Moscou. Vladimir Poutine a décidé de répondre en utilisant l’arme économique. Le président russe a décrété un embargo sur l’importation des produits alimentaires (viande, fruits, légumes, laitages, etc.) américains et de l'Union européenne. La guerre commerciale est déclarée. Mais la Russie a-t-elle les moyens de la gagner ? Décryptage.
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Une situation d’interdépendance. La Russie est le deuxième fournisseur de biens et services aux Européens. Elle est également le quatrième client de l’Union. Une situation qui la met en position de force pour imposer son point de vue. D’ailleurs, la balance commerciale est favorable à la Russie : les Européens achètent plus qu’ils ne vendent à Moscou. En 2013, la Russie a gagné 86.702 milliards d’euros dans ses échanges avec l’Union européenne, selon Eurostat. Toutefois, cette influence est à double tranchant. Les Etats membres représentent la moitié des exportations et des importations russes. Autrement dit, la Russie n’a pas vraiment les moyens de froisser celui qui représente 50% de son chiffre d’affaires, selon la représentation permanente russe à l’Union européenne.
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Agroalimentaire : en embargo perdant, perdant. Autre importation non négligeable pour les Russes : les produits agricoles qui pèsent 10% des exportations européennes vers la Russie et près de 12 milliards d’euros, selon Eurostat. Or, les Russes ne sont pas autosuffisants dans le secteur alimentaire. Pour y remédier, Dmitri Medvedev a lancé une politique qui doit rendre la Russie autonome à l’horizon 2020, soit dans six ans. En attendant, Moscou doit s’assurer que sa population ne meure pas de faim. Or, si la Chine et le Brésil ont promis d’augmenter leurs exportations, un épi de maïs ou un porc ne s’élèvent pas en quelques jours. L’embargo, très ciblé, de Vladimir Poutine ne peut pas durer trop longtemps. Toutefois, l’interdiction décidée par Poutine pourrait coûter 250 millions d’euros aux agriculteurs français, soit un quart des exportations agricoles françaises vers la Russie, selon Ubifrance.
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L’Europe est indispensable pour ses produits manufacturés. Drame de la période post-soviétique, la Russie n’est plus une puissance industrielle de premier ordre. Ses usines ne produisent pas de biens à forte valeur ajoutée et elle est obligée de se tourner vers l’étranger pour les produits technologiques. Les Russes achètent à l’Union européenne principalement des produits manufacturés, comme des machines d’équipements et de transport (47,3% des biens industriels importés), pour plus de 100 milliards par an, selon Eurostat. Or, ces technologies sont indispensables au fonctionnement et au développement du secteur clef de l’économie russe : les matières premières comme le pétrole et le gaz.
L’Europe a de gros moyens pour investir. Enfin, la Russie a besoin d’investissements étrangers pour doper son économie. En prenant une position isolationniste, elle risque de perdre de précieux crédits, indispensables à la modernisation de ses infrastructures et à la diversification de sa production. Un rapport de la Cnuced de 2012 expliquait déjà "les faibles performances en termes d'IDE (investissement directs étrangers, ndlr) par le climat d'investissement qui est encore largement perçu comme défavorable à l'étranger". Les décisions politiques de Vladimir Poutine, si elles rassurent sa base en Russie, découragent les investisseurs tentés de mettre en place des partenariats industriels avec des entreprises russes.
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Les hydrocarbures, un levier de moins en moins puissant. De son côté, la Russie a du gaz et du pétrole. Une arme qui pèse lourd dans les négociations, mais qui a déjà été brandie, utilisée et dont les Européens ont appris à se protéger. En effet, l’Europe, qui achète 30% de son gaz à la Russie, est de très loin le principal client de Moscou. Or la Russie dépend à 78% de ses exportations énergétiques, selon Eurostat. L’économie russe n’a pas d’autre solution que de vendre du pétrole et du gaz et l’Europe est son principal débouché. De plus, même si les Russes décidaient de diversifier leur clientèle, ils ne pourraient pas le faire avant des années, puisque l’ensemble des infrastructures (gazoduc, oléoduc, etc.) est tourné vers l’Ouest. Et les ports russes n’ont pas équipé de manière à transporter le gaz à travers le monde en évitant l’Europe.
Autrement dit, si l’Europe décidait de couper ses importations de gaz et pétrole russes, cela coûterait 160 milliards d’euros par an à Moscou. Rien que stopper les importations de gaz coûterait 75 milliards de dollars par an, et ferait reculer le PIB russe de 3,7%. Et les économies européennes pourraient plus facilement s’en remettre : elles ont déjà commencé à diversifier leurs sources d’approvisionnement. Norvège, Pays du Golfe, Algérie, Etats-Unis, Canada… le pétrole et le gaz peuvent aussi bien arriver par pipelines que par la mer dans les tankers et les méthaniers (sous forme liquide, le gaz naturel liquéfié ou GNL). La Russie joue donc un jeu dangereux, en testant une nouvelle fois la volonté des puissances européennes de l’affronter.
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