Entre les Noirs américains et leur police, le divorce semble bel et bien consommé. Baltimore, dans l’est des Etats-Unis, a connu une nouvelle nuit de tensions, malgré l’entrée en vigueur du couvre-feu, après les violentes émeutes qui ont suivi la mort de Freddie Gray, 25 ans, tué par la police. Une affaire qui rappelle plusieurs faits divers survenus ces derniers mois dans le pays, où de jeunes Noirs non armés ont été tués par des policiers blancs. Une violence symptomatique aux Etats-Unis ? Eléments de réponse avec Marie-Cécile Naves, politologue et spécialiste des Etats-Unis, invitée d'Europe 1 mercredi.
Qu’est-ce que la ville de Baltimore a de particulier ? C’est une grande ville, avec un centre-ville d’à peu près 600.000 habitants, et une agglomération de 2 millions d’habitants. Il y a 60% d’Afro-américains, la maire et le commissaire de police sont afro-américains. Il y a des ghettos noirs et une configuration spécifique, avec un passé de violences policières assez connu aux Etats-Unis. Depuis quelques années, il y a en effet eu une centaine de bavures policières et la ville a beaucoup indemnisé les victimes, pas que des Noirs d’ailleurs.
Mais les émeutes s’inscrivent aussi dans un contexte national, avec un président métis, une ministre de la Justice afro-américaine… La communauté noire américaine a placé beaucoup d’espoir dans ces élites nationales et elle est très déçue. Certes, Barack Obama a mené une politique en faveur des classes moyennes, dont ont bénéficié les Noirs, notamment pour l’accès à l’éducation et la politique de la petite enfance, mais rien pour les plus démunis.
Pourquoi des émeutes éclatent-elles aujourd’hui ? Maintenant, avec les réseaux sociaux, les bavures policières ne peuvent plus être cachées du grand public. Systématiquement, quand ça se passe dans l’espace public et que quelqu’un est là, il y a des vidéos qui circulent. On ne peut plus étouffer les affaires comme avant. Mais attention, ce n’est pas l’Amérique qui brûle : les tensions sont quand même localisées dans des villes qui ont soit un passé de ségrégation, comme Ferguson dans le Missouri, ou qui sont dans une configuration raciale très spécifique, comme Baltimore.
L'interview de Marie-Cécile Naves :
Les Etats-Unis ont-il un problème avec leur police ? Il y a un vrai souci avec la police américaine, un sentiment d’impunité. Ils ne sont quasiment jamais condamnés, même si de plus en plus d’affaires vont en justice, y compris au pénal. Ce n’est pas forcément du racisme intentionnel, comme on connaissait jusque dans les années 1960 et 1970. Il s’agit vraiment des stéréotypes et de préjugés sur le Noir dangereux et sauvage. C’est ce que disait par exemple Darren Wilson [le policier blanc qui a tué Michael Brown, un jeune Noir, à Ferguson] : ‘j’ai vu arriver ce grand Noir devant moi, j’ai eu peur’. Il y a là un stéréotype de l’homme bestial, qui est très racialisé.
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