L’INFO. Occuper militairement une région entière sans tirer un coup de feu ou presque, c’est possible. La Russie l’a prouvé en Crimée, péninsule russophone du sud de l’Ukraine, de facto contrôlée par les forces de Moscou. Derrière cette intervention de l’armée se cache une autre machine de guerre : celle de la propagande. Comme l’explique à Europe1.fr François-Bernard Huyghe, directeur de recherches à l’Iris, "la doctrine militaire russe accorde une grande importance à la guerre de l’information".
Des chaînes ukrainiennes fermées. Et ça marche : en Crimée, où la "quasi-totalité de la population est russophone" et s’informe via les médias russes, "l’impact est extrêmement important", confirme Alexandra Goujon, maître de conférence à l’université de Bourgogne et spécialiste de l’Ukraine. Le pluralisme des médias dans la province ne risque pas de s’améliorer après la fermeture jeudi d’une chaîne d’information ukrainienne dont la fréquence a été attribuée… à une chaîne russe.
Le coup d’éclat d’une journaliste américaine. Les informations diffusées dans les médias russes reprennent la rhétorique du Kremlin. Les ficelles sont parfois un peu grosses : le site américain Business Insider ironise par exemple sur un article de Russia Today datant du 2 mars, titré sur un "dimanche paisible à Simféropol", la capitale de la Crimée, entre "thé, sandwiches, musique et photos avec les forces d’auto-défense (sic)". Le même jour, le Premier ministre ukrainien dénonçait pourtant la déclaration de "guerre" de la Russie.
C’est ce traitement de l’information qu’a dénoncé mercredi la journaliste américaine Liz Wahl, qui travaillait pour la chaîne Russia Today (RT) America. Elle n’a pas hésité à démissionner en direct, expliquant qu’elle ne "pouvait pas travailler pour une chaîne financée par le gouvernement russe et qui absout les actions du [président russe] Poutine".
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"Antifascisme" et "persécutions". Alors que disent précisément les médias russes de la crise en Ukraine ? François-Bernard Huyghe, spécialiste des questions de propagande, y retrouve des "classiques" du genre. "Le thème le plus frappant, c’est l’antifascisme", note-t-il. "Cela s’explique par les raisons historiques : en Russie, vous ne plaisantez pas avec la grande guerre patriotique", la Seconde Guerre mondiale, et les Russes "ont tendance à voir dans beaucoup de mouvements séparatistes dans leurs anciens blocs une résurgence" des courants fascistes.
Autre idée avancée, celle de la "persécution des Russes par les nationalistes ukrainiens". Sur ce thème, certains médias n’hésitent pas à prendre quelques libertés avec la vérité, note France 24 : la chaîne Channel One a par exemple illustré un reportage sur un prétendu exode de réfugiés de l’Ukraine vers la Russie avec des images de la frontière entre l’Ukraine et… la Pologne.
Les images de Channel One (en russe) :
La question de la "légalité", ou plutôt de "l’illégalité" du nouveau pouvoir ukrainien revient aussi avec insistance. "La propagande russe joue à fond sur le point de l’illégalité des actions des ukrainiens naturellement soumis aux Occidentaux", observe François-Bernard Huyghe.
"On en fait autant qu’eux". Mais le spécialiste tient à faire cette précision : "à mon avis, on en fait autant qu’eux, il faut être honnête !". Pour François-Bernard Huyghe, il y a en effet dans les médias occidentaux "une sorte de myopie sur les forces qui sont en jeu en Ukraine". "On s’est créé des images d’Epinal", soutient-il, citant l’exemple de Ioulia Timochenko, l’ancienne Premier ministre, érigée en "sainte démocrate", alors qu’elle a été "une oligarque corrompue" avec Margaret Thatcher comme "modèle". Et le chercheur de mettre en garde contre tout manichéisme : "la thèse russe ‘tous fascistes’ est évidemment fausse, mais la thèse angélique selon laquelle tous ceux qui ont voulu rentrer dans l’Union européenne et renverser Ianoukovitch sont forcément des gentils démocrates comme nous est tout aussi absurde !"
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