En Irak, des vies "paralysées" par la violence

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TÉMOIGNAGE E1.FR - Nawar, 22 ans, raconte son quotidien à Bagdad, où la violence ne laisse aucun répit.

Dimanche, le café du quartier d’Amil, à Bagdad, était bondé quand un kamikaze s’est fait exploser. Bilan : une trentaine de morts et au moins 50 blessés. Nawar Al-Ani, 22 ans, connaissait cet endroit. Dimanche, il était chez un ami au moment de l’attentat, mais il ne se fait pas d'illusions : "chaque jour, je sais que si ça se trouve, à l’endroit où je suis, une bombe va exploser". Depuis début 2013, l’Irak est en proie à une nouvelle flambée de violence, avec plus de 5.000 morts depuis janvier. Depuis Bagdad, Nawar a raconté à Europe1.fr comment ces violences quotidiennes rendent impossible toute vie normale.

Nawar al-ani, interview, 400-400

© NAWAR AL-ANI

"On rêvait de vivre enfin en paix". Le jeune Irakien se souvient qu’"après 2008 [date de la fin du conflit confessionnel dans le pays entre chiites et sunnites], les choses commençaient à aller beaucoup mieux". "On rêvait de pouvoir vivre enfin en paix, mais la situation s’est aggravée au début de cette année : les explosions ont augmenté, tout comme les kidnappings", note-t-il, se disant "chanceux" d’avoir jusqu’ici échappé aux attaques. Dans sa vie de tous les jours, cet ingénieur fraîchement diplômé de l’université de Bagdad, qui aime donner une autre vision de sa ville sur son compte Instagram, en ressent toutefois les effets et résume : "J’ai 22 ans. En 2003 [date de l’invasion de l’Irak par les États-Unis], j’en avais 10. Je n’ai jamais pu vivre normalement, comme les autres gens de mon âge".

Contrôles de sécurité et embouteillages. Des embouteillages énormes : c’est aussi ça, la vie à Bagdad. Dimanche, quand il a appris qu’une bombe avait frappé un café, Nawar s’est dépêché de rentrer chez lui "avant que les rues ne soient bloquées". "Quand il y a eu un attentat, on sait que le lendemain, il y aura d’énormes embouteillages, parce qu’il y a des contrôles de sécurité", explique le jeune ingénieur pour qui "tout cela, ça paralyse nos vies".

Sur son compte Instagram, Nawar poste des photos pour donner "une autre image" de l'Irak :

Nawar Al-Ani, bagdad

© NAWAR AL-ANI/INSTAGRAM

Les cafés pris pour cible. En Irak, tous les lieux ou événements susceptibles d’attirer les foules peuvent être pris pour cible : terrains de football, mariages, mosquées ou cafés. "A Bagdad, raconte Nawar, on n’a pas beaucoup de divertissements, mais on a les cafés, où on peut discuter, jouer aux cartes". "C’était notre respiration", soupire le Bagdadi. Mais quand de plus en plus de cafés ont été la cible d’attentats, ses amis ont cessé d’y aller. Pas lui : "au début, j’évitais les endroits qui avaient été attaqués". "Quand une bombe explosait, je ne sortais plus de chez moi, mais je me suis dit que si je faisais ça tout le temps, je ne sortirai plus jamais de chez moi". Malgré "deux ou trois explosions chaque jour", Nawar a fini par se convaincre qu’il n’allait pas "arrêter de vivre pour autant".

Cette photo a été prise par Nawar une dizaine d'heures après un attentat : "je connaissais cet endroit, c'était plein de monde à chaque fois que je passais devant" :

Nawar Al-Ani, bagdad, après l'attentat

© NAWAR AL-ANI/INSTAGRAM

Aller au cinéma, un risque. Le jeune homme, bien conscient des risques, n’hésite pas à verser dans l’humour noir. Sur son compte Twitter, il sonde ainsi ses amis : "Quelqu’un a vu Gravity ? Est-ce que ça vaut le coup de prendre le risque de sortir pour aller le voir ?".

"Le cinéma est situé dans un quartier où il y a eu beaucoup d’attaques", explique Nawar. En plus, "la salle est située à l’origine dans un centre commercial. Et quand je vais au centre commercial, je sais que je risque ma vie", assène-t-il.

Pas de vie amoureuse. Ce que déplore aussi Nawar, c’est que les violences quotidiennes l’empêchent d’avoir une vie amoureuse. "Avoir une vie sociale, une relation, c’est parfois interdit en dehors de Bagdad, mais à Bagdad, c’était toléré", indique-t-il, notant qu’avec l’augmentation des violences, les esprits se sont fermés. "A Bagdad, il est devenu plus difficile d’avoir une relation. Et puis quand tu es avec quelqu’un, tu te sens responsable de ton partenaire et tu ne peux pas risquer ta vie".

"Je ne veux pas abandonner l’Irak". "Bien sûr", Nawar ressent "de la peur". Fataliste, il juge que "tout est une question de timing. Chaque jour je sais que si ça se trouve, à l’endroit où je suis, une bombe va exploser". Toute sa famille a quitté le pays mais lui a fait le choix de rester. "Mon père m’appelle tous les jours pour me demander de les rejoindre", confie Nawar, qui n’en n’a pas l’intention. "Je ne veux pas abandonner l’Irak", martèle-t-il, avant de se demander, à propos d’un éventuel départ : "si je pense comme ça, que mes amis aussi, et que tout le monde pense également comme ça, qui va reconstruire le pays ?".