Avec la publication d’un rapport parlementaire explosif, les Américains ont replongé dans le chapitre noir de la "guerre contre le terrorisme". Et découvert l’identité de deux des acteurs principaux de ces sinistres pages, deux psychologues américains engagés par la CIA pour développer des techniques d’interrogatoires "poussées". En clair, la torture comme moyen – depuis jugé inefficace – de faire parler des suspects.
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Aucune expérience du contre-terrorisme. Dans le rapport rendu public mardi, les deux hommes apparaissent sous les pseudonymes de Dr Grayson Swigert et Dr Hammond Dunbar. D’après le New York Times, ils s’appellent en réalité James Mitchell et Bruce Jessen. Eux, qui ont gagné des millions de dollars en développant les programmes de torture de la CIA après le 11-Septembre, n’avaient pourtant aucune expérience du contre-terrorisme, ni de connaissance particulière d’Al-Qaïda.
C’est tout de même à l’armée que les deux psychologues ont fait leurs armes. James Mitchell y est entré en 1974, selon la BBC. Il est alors… spécialiste du désamorçage de bombes. Il passe ensuite un doctorat en psychologie, consacré à l’alimentation, l’exercice physique et l’hypertension. Bruce Jessen détient également un doctorat en psychologie.
Un centre d’entraînement à la torture. En pleine Guerre Froide, les deux psychologues travaillent pour la US Air Force Survival, Evasion, Resistance and Escape (Sere) school, une "école" destinée aux troupes d’élite. Son but : entraîner les soldats à résister à un traitement de choc s’ils devaient être capturés par "des pays n’adhérant pas à la convention de Genève", indique The Independent. C’est-à-dire des pays pratiquant la torture.
Après les attentats du 11-Septembre, le Dr Mitchell se penche sur le concept de "learned helplessness", ou "impuissance apprise", censé favoriser la confession du suspect. En 2002, les services américains demandent aux deux psychologues de se pencher sur un manuel d’Al-Qaïda expliquant aux terroristes comment résister aux interrogatoires. Les deux hommes proposent alors l’introduction de techniques comme le "waterboarding", un simulacre de noyade, ou la privation de sommeil.
83 simulacres de noyade. La même année, quand les Américains arrêtent Abou Zubaydah, un Pakistanais soupçonné de faire partie d’Al-Qaïda, les Dr Mitchell et Jessen entrent en scène, selon la BBC. Sur les conseils des deux psychologues, le suspect, interrogé dans un centre de la CIA en Thaïlande, est privé de sommeil. Il subira également pas moins de 83 simulacres de noyade. Parfois, les deux médecins mènent eux-mêmes l’interrogatoire. Tout cela pour rien : l’homme ne livre aucune information. Ce qui est interprété par Mitchell et Jessen, chargés de leur propre évaluation, comme… un succès, car leurs méthodes ont permis de révéler que le suspect ne possédait pas les informations recherchées par les services américains.
Résultat : ces sinistres méthodes sont régulièrement utilisées par la suite lors d’interrogatoires. Flairant le filon, les deux psychologues créent une entreprise en 2005 pour monnayer leurs services. Jusqu’en 2009, date de la fin du programme de la CIA, ils touchent pas moins de 81 millions de dollars de l’agence américaine. Prévoyants, les deux hommes avaient aussi négocié un accord de 5 millions de dollars avec l’agence, destiné à protéger leur entreprise et couvrir des frais liés à d’éventuelles poursuites judiciaires. D’après le ministère américain de la Justice, ce scénario est cependant peu probable, car les preuves nécessaires à une inculpation dans ce vaste dossier ne sont pas suffisantes.