"Les prochains pays sur la liste d’ISIS (l’Etat islamique en Irak et au Levant, en anglais, ndlr.) sont l’Iran, l’Arabie saoudite (Saudi Arabia, ndlr.), Israël et le Soudan. Ca deviendra ISISISIS, ce qui est ridicule et difficile à prononcer". Ce sarcasme, c’est l’arme favorite de Karl Sharro, un blogueur libanais installé à Londres depuis 12 ans. Sur internet, il livre tweets et articles satiriques à l’encontre de l’Etat islamique, l’organisation terroriste qui a mis la main sur un grand pan de territoire de la Syrie et de l’Irak. Les djihadistes y font régner une violence dénoncée de toute part. Karl Sharro, lui, se moque ouvertement d’eux. Et il n’est pas le seul.
Le courage. Ils sont nombreux, sur le web et en-dehors à avoir pris le parti de rire de la violence islamiste qui sévit au Proche-Orient. Une parodie en désespoir de cause ? "Si j’étais désespéré, je n’en parlerai pas du tout", contredit le blogueur, qui insiste pour Europe 1 : "Il faut leur retirer leur aura d’invincibilité et leur sérieux, ainsi que le respect qu’ils essayent d’obtenir et la peur qu’ils instillent. Ce n’est pas du désespoir, mais plutôt de la frustration" face à une certaine impuissance, raconte-t-il.
Depuis Londres, Karl Sharro admet être "dans une position très confortable" et salue ceux qui tournent en ridicule l’Etat islamique depuis les pays arabes, comme le groupe libanais The Great Departed. Sur scène, les six musiciens se moquent ouvertement d’Abou Bakr Al-Baghdadi, le chef de l’Etat islamique. "Je jure que si j’étais une vache, je porterai un soutien-gorge", chante l’un d’eux, parodiant le rigorisme absolu des djihadistes, pendant qu’un public jovial tape dans ses mains.
Naim Asmar, qui chante les paroles composées par Khaled Soubeih, raconte pour Europe 1 qu’en "voyant la réalité tragique autour de l’Etat islamique, on ne peut pas en parler sérieusement, car cette tragédie est insupportable". Avant de prendre le "calife" pour cible, The Great Departed s’était déjà attaqué à d’autres sujets politiques, comme la dictature. Pour autant, Naim Asmar refuse de parler du groupe comme "engagé". "Nous voulons juste chanter nos idées, et il semble qu’elles soient populaires", au vu des applaudissements et messages de soutien que les musiciens reçoivent.
Le sarcasme fait-il le poids ? Cette liberté d’expression face à la violence islamiste permet selon le blogueur libanais de "garder le sujet en vie", en particulier dans les pays arabes, d’où vient environ la moitié du lectorat de Karl Sharro. Par fatigue ou par tabou, peu de gens osent rire de l'Etat islamique au Liban, raconte Naim Asmar. Alors les musiciens se font leur porte-voix. Sur Twitter, en revanche, de nombreux internautes moquent l’Etat islamique en retouchant des photos ou encore avec le hashtag #ISISmovies. Le but du jeu : détourner des titres de films. "Le diable s’habille en Omega", écrit un utilisateur du réseau social, faisant référence à la montre suisse portée par Abou Bakr Al-Baghdadi sur une photo.
The devil wears Omega #ISISmovies— Kiki (@Simulacre2) 5 Septembre 2014
Ce hashtag, né à la mi-août sur les comptes d’’internautes d’origine arabe (expatriés ou non), s’est répandu dans des cercles bien plus élargis, comptabilisant près de 16.000 tweets. Mais Karl Sharro se veut lucide : "Tout ça, ça ne va pas permettre de vaincre l’Etat islamique, encore moins pour ce genre de hashtags". Selon lui, sur le terrain en Syrie ou en Irak, rien ne sert de tourner les djihadistes en ridicule : la solution est politique. Naim Asmar, le chanteur de The Great Departed, pense "à son humble avis" qu’au contraire, le sarcasme populaire, "le rejet du peuple même, peut annihiler un tel phénomène et pas uniquement l’intervention de forces extérieures ou un jeu politique".
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Convaincre par le rire. The Great Departed et Karl Sharro ont cela de commun qu’ils ne se voient pas comme des héros. Ils tentent simplement, selon eux, de montrer par le rire l’absurdité des propos d’Abou Bakr Al-Baghdadi, convaincre que le djihadisme violent n’a rien de commun avec l’islam, qu'il ne s'agit que de "lavage de cerveau", comme le dénonce également cette vidéo d'un collectif d'Amman, en Jordanie.
Pour Karl Sharro, railler les djihadistes "devient presque plus un défi pour" les djihadistes occidentaux en herbe qui soutiennent l’Etat islamique, sans en faire partie, que pour les millions d’Arabes qui vivent le problème quotidienne. Essayer de leur faire comprendre que "ce que vous croyez est totalement faux", voilà le véritable enjeu pour le blogueur. On estime à près d’un millier le nombre de Français partis en Syrie, environ 500 Britanniques ou encore 300 à 400 Belges.