La liberté d'expression sur la Toile ne fait pas bon ménage avec la royauté. Une éditrice de site Internet thaïlandaise a été condamnée mercredi à une peine avec sursis pour des propos postés par d'autres personnes et qui sont jugés insultants envers la monarchie. Un verdict qui a été dénoncé par Google comme une "menace" pour le développement d'Internet dans le royaume.
Dans ce dossier symbolique de la lutte pour la liberté d'expression, Chiranuch Premchaiporn, 44 ans, a été condamnée pour avoir mis vingt jours à supprimer un commentaire posté sur le forum de son site Prachatai, en 2008. Passible de 20 ans de détention, elle était poursuivie pour... dix commentaires. Le tribunal a estimé qu'elle en avait retiré neuf assez rapidement. "L'accusée ne peut pas nier sa responsabilité pour le contenu de son site Internet", a estimé le juge Kampol Rungrat.
Chiranuch Premchaiporn, qui avait plaidé non coupable, a indiqué qu'elle réfléchissait à l'opportunité de faire appel "pour confirmer (son) innocence". Elle risque en théorie jusqu'à 50 ans de prison dans une autre affaire similaire.
Un verdict qui ne condamne pas son auteur
Le roi Bhumibol, hospitalisé depuis septembre 2009 et âgé de 84 ans, jouit auprès de certains de ses sujets d'un statut de demi-dieu. Et si la famille royale n'a aucun rôle politique officiel, elle est protégée par une des législations les plus sévères du monde.
Le débat est devenu brûlant depuis des mois entre ceux qui veulent la maintenir en l'état et ceux qui dénoncent un outil liberticide. Mais, le géant de la toile, Google, a donné au dossier une dimension économique nouvelle, en s'insurgeant contre un verdict qui condamne le porteur de message et non son auteur.
"Les compagnies de téléphone ne sont pas sanctionnées pour des choses que les gens disent au téléphone et les propriétaires responsables de sites Internet ne devraient pas être punis pour des commentaires" d'usagers, a déclaré un porte-parole de Google. "Le précédent (...) est mauvais pour les entreprises thaïlandaises, les utilisateurs et le potentiel innovant de l'économie sur Internet" dans le pays.
Une condamnation pour des SMS anti-monarchiques
La communauté internationale s'était déjà ouvertement inquiétée après la condamnation en novembre d'un sexagénaire à vingt ans de prison pour quatre SMS jugés anti-monarchiques. Sa mort en prison, en avril, avait enflammé le royaume.
"En n'envoyant pas (Chiranuch) en prison, ils ont dit 'nous ne voulons pas de tollé international'", a souligné l'expert indépendant David Streckfuss. Mais "en la reconnaissant coupable, ils essaient de dire : 'plus de dérive'" concernant la monarchie sur Internet.
Le verdict risque donc de pousser les internautes à l'autocensure et les fournisseurs d'accès à la plus grande frilosité. Les partisans de la réforme de la législation ne devraient donc pas baisser leur garde. "Les abus de la loi restent intacts", a estimé à cet égard David Streckfuss.
Une pétition de 27.000 personnes
"La campagne est bien en marche et je m'attends à ce qu'elle continue", a confirmé pour sa part Benjamin Zawacki, pour Amnesty International, selon qui "un acquittement (de Chiranuch) n'était tout simplement pas possible pour des raisons politiques".
Les poursuites et condamnations pour lèse-majesté se sont multipliées depuis le coup d'Etat militaire de 2006 contre l'ex-Premier ministre, Thaksin Shinawatra, considéré par les élites de Bangkok comme un danger pour la monarchie. Entre 1995 et 2004, entre cinq et dix affaires étaient jugées chaque année, selon David Streckfuss. En 2010, lorsque la répression des manifestations des "chemises rouges" pro-Thaksin a fait plus de 90 morts, le nombre de cas a bondi à 478. Il est retombé l'an dernier à un niveau similaire à 2009.
Cette semaine, une pétition signée par près de 27.000 personnes a été déposée au parlement pour réformer la loi. Mais la soeur de Thaksin, Yingluck Shinawatra, Première ministre depuis août dernier, a exclu l'hypothèse.