"Pour moi, il ne fait aucun doute que je partage une culpabilité morale", a déclaré Oskar Gröning, l'ancien comptable d'Auschwitz, au premier jour de son procès devant le tribunal de Lunebourg, en Allemagne. Lors de sa longue déposition livrée d'une voix ferme, l'ancien SS a demandé "pardon" aux victimes de la Shoah, affirmant assumer sa faute "morale", tout en distinguant son travail de celui des bourreaux.
Il alimentait les finances du régime nazi avec l'argent des déportés. Vêtu d'une chemise blanche rayée et d'un pull sans manches, le nonagénaire portant des lunettes à monture dorée, est entré dans la salle d'audience en appui sur ses deux avocats, avant de soulever son déambulateur d'un geste vif pour s'installer et écouter la lecture de l'acte d'accusation. Le parquet lui reproche d'avoir "aidé le régime nazi à tirer des bénéfices économiques des meurtres de masse", en envoyant l'argent des déportés à Berlin, mais aussi d'avoir assisté à la "sélection" séparant, à l'entrée du camp, les déportés jugés aptes au travail de ceux qui étaient immédiatement tués. En "gardant les bagages" du précédent convoi pour les soustraire aux yeux des nouveaux arrivants, le jeune sergent aurait également évité un mouvement de panique et sciemment favorisé une mise à mort sans heurts, selon le parquet.
Des faits dont s'est défendu Oskar Gröning, devant le tribunal, assurant avoir protégé les bagages "des vols", arguant : "Il y avait beaucoup de corruption et j'avais l'impression d'un marché noir" au sein du camp, avec pour enjeu les "montres en or" dérobées aux déportés.
Des Waffen SS à la comptabilité d'Auschwitz. Un peu avant à la barre, Oskar Gröning avait raconté son engagement volontaire dans les Waffen SS à la fin 1940, désireux de "participer" à l'effort de guerre dans un "corps efficace", puis son premier poste dans l'administration et son transfert à Auschwitz, en 1942, jusqu'à l'automne 1944.
70 ans plus tard, il s'est dépeint en jeune SS cantonné à des tâches administratives, dans un contexte de guerre. Pressé de questions, il a martelé : "Je ne savais rien d'Auschwitz ni des autres camps de concentration avant d'y avoir travaillé", assurant que son rôle avait "sans doute été surestimé". Dans ce camp de concentration, quelque 1,1 million de personnes, dont environ un million de juifs européens, ont péri entre 1940 et 1945.
"Choqué" à Auschwitz, il aurait demandé à être "muté" au front. Le vieil homme a par ailleurs insisté sur ses trois demandes de transfert au front, infructueuses, pour témoigner de ses tentatives de quitter ce qui fut le plus grand camp de concentration du IIIe Reich, "choqué" par sa découverte d'une extermination méthodique sans aucun rapport avec le contexte de guerre. Il a raconté que, juste après son arrivée en novembre 1942, il avait vu un gardien tuer un bébé laissé seul, "en pleurs", sur la rampe d'arrivée, en le saisissant par les pieds pour l'écraser contre le flanc d'un wagon. "Aurais-je dû prendre un pistolet et sauver ce bébé?", a demandé Oskar Gröning, hanté par cette scène.
Trois semaines plus tard, patrouillant dans le camp, il avait entendu des cris "de plus en plus forts et désespérés, avant de s'éteindre" dans les chambres à gaz, puis avait assisté à la crémation des corps.
Il risque de trois à 15 ans de prison. Revenu vivre en Allemagne après la guerre, l'ancien comptable ne s'est jamais caché de son passé. Avant d'être rattrapé par la justice, il a même longuement raconté son parcours dans la presse et à la télévision, expliquant vouloir "combattre le négationnisme".
L'homme aujourd'hui âgé de 93 ans encourt trois à 15 ans de prison pour "complicité de 300.000 meurtres aggravés" et pourrait être le dernier ancien nazi traduit en justice. En effet, une douzaine d'enquêtes préliminaires sont en cours en Allemagne mais leurs chances d'aboutir sont compromises par l'âge des suspects.
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