L'INFO. Le gouvernement turc a continué mercredi à faire le ménage au sein de la police et de la justice. Parce qu'ils sont soupçonnés d'avoir ourdi un complot contre le pouvoir en place, en instrumentalisant à leur avantage un scandale de corruption qui éclabousse désormais jusqu'au Premier ministre Erdogan, seize hauts responsables ainsi que 350 policiers ont été congédiés, l'un des principaux procureurs d'Istanbul en charge de l'enquête a été dessaisi. De nombreux hauts fonctionnaires des ministères des Finances, de l'Education et des Transports ont également été remerciés…
Toutes les victimes du grand nettoyage opéré sur ordre du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan sont en fait soupçonnées d'appartenir à la très influente confrérie du prédicateur musulman Fethullah Gülen. Entre lui et le Premier ministre turc, c'est désormais un bras-de-fer qui est engagé.
>>> Qui est Fethullah Gülen ? Quel est son rôle de cette confrérie ? Explications.
Qu'est-ce que la confrérie Gülen ? Baptisé "Hizmet" ("le service" en français), ce mouvement, sorte de "franc-maçonnerie à la turc", est né dans les années 1970 autour de l'imam turc Fethullah Gülen. Aujourd'hui âgé de 73 ans, le "gourou" vit en Pennsylvanie, aux États-Unis, depuis son départ de Turquie en 1999 pour échapper à des poursuites de la justice pour "activités antilaïques". Très discret, il ne s'exprime dans les médias que par le biais de quelques porte-parole attitrés. En 2008, l’homme a été élu "penseur le plus influent de l’année" par le magazine Foreign Policy.
Son organisation s'articule autour d'un réseau d'écoles présentes dans plus d'une centaine de pays pour y diffuser la culture turque à travers le monde. Une école existe par exemple à Villeneuve-Saint-Georges en banlieue parisienne. La confrérie dispose aussi de chaînes de télévision et du quotidien le plus vendu de Turquie, Zaman. L'organisation revendique plusieurs millions de partisans et des relais influents dans les affaires, où elle a créé sa propre organisation patronale, la police et la magistrature. Elle utilise beaucoup Internet pour prêcher et répandre ses enseignements. De nombreux élus ou personnalités proches du pouvoir sont considérés comme proches de Fethullah Gülen. A commencer par l'actuel chef de l’État Abdullah Gül ou le vice-Premier ministre Bülent Arinç.
Ce groupe est influent parmi les classes moyennes, moralement conservatrices mais économiquement libérales et favorables à la mondialisation. Ses dirigeants s’opposent à l’armée turque et à l’appareil bureaucratique.
Quel est le contentieux entre le gouvernement turc et la confrérie ? Depuis la victoire du parti d'Erdogan aux élections législatives de 2002, la confrérie Gülen et l'AKP du Premier ministre étaient alliés dans le cadre du gouvernement. "Hizmet" a notamment contribué à asseoir son autorité sur des institutions jusque-là très proches de "l'ancien régime" kémaliste, comme la police et la justice. Mais depuis quelques années, le torchon brûle entre les deux. Lors de la fronde antigouvernementale qui a secoué la Turquie en juin 2013, le chef de l’État ainsi que le vice-Premier ministre, proches de la confrérie, ont prêché la conciliation face aux manifestants, avant de rentrer dans le rang en se ralliant bon gré mal gré à la stratégie de fermeté d'Erdogan.
La rupture est apparue au grand jour le mois dernier lorsque le gouvernement a annoncé son intention de supprimer les "dershane", des écoles de soutien scolaire privées très fréquentées en Turquie. La confrérie en dirige plusieurs centaines en Turquie, qui contribuent largement à sa puissance financière. Depuis, les voix autorisées de la galaxie "güleniste" dénoncent ouvertement la décision du gouvernement et ont promis de tout faire pour l'empêcher de parvenir à ses fins.
Quelles conséquences ? En tournée en Asie toute la semaine, Erdogan, mêlé à un scandale de corruption, reproche désormais à l'organisation de Fethullah Gülen d'avoir constitué un "État dans l’État" et monté une "conspiration" pour le faire tomber, à trois mois des élections municipales. Pour l'instant, la confrérie n'affiche pas réellement d'objectifs politiques. Mais cette guerre fratricide a déjà eu des conséquences puisque plusieurs députés ont déjà claqué la porte du parti au pouvoir.
POLEMIQUE - Dix ministres prennent la porte, la rue proteste