Mieux que Bono qui assure les soirées huppées de Davos. Mieux que Matt Damon qui n'avait pas suscité un tel engouement quand il était venu parler à Davos (le Forum économique mondial se tient dans la station suisse jusqu'au 25 janvier, nldr) de son combat pour apporter de l'eau partout dans le monde... LA star de ce forum est incontestablement Hassan Rohani, le président de la République islamique d'Iran.
Trouver sa place devant la scène. "It's a great honor", commence, solennel, le Dr Klaus Schwab, le président-fondateur du Forum économique mondial. Jusqu'au dernier moment, la rumeur avait couru qu'il ne serait peut-être pas là. L'amphithéâtre est bondé à 10h15, on joue des coudes dans le noir, on se rue sur les écouteurs qui vont traduire les paroles en farsi du président. Confusément, on sent qu'il y a une attente. Peut-être même un espoir.
Se laisser séduire. En dehors de la salle, à quelques mètres derrière les grosses portes battantes, le discours à la tribune de Rohani est retransmis sur écran géant. Une autre population regarde les images, essaie de comprendre le discours non verbal, the body language, puisqu'ils n'ont pas la traduction. "C'est quand même une main tendue à l'occident. Un pas vers la démocratie", s'enflamme un peu rapidement une quadragénaire hollandaise qui a quitté un instant son iPad des yeux.
Abiona, un entrepreneur nigérian au physique massif, arborant un superbe chapeau mou malgré la chaleur du lieu jette un regard à la jeune-femme. Il marque un silence avant de dire d'un ton calme et presque dans un murmure, "lorsqu'un homme s'assoit et commence à parler, c'est bien mieux que le silence. Maintenant je ne sais pas si l'Iran est sur la voie de la démocratie."
Offrir au public ce qu’il veut entendre. Le public découvre un homme souriant, au regard intelligent digne d'un professeur d'université de Téhéran qui n'élude aucune question. Il est venu annoncer l'ouverture du marché iranien qui a obtenu, quelques jours auparavant, un assouplissement des règles de l'embargo. Il va y avoir du business à faire sur place pour l'industrie automobile, les transports routiers, les travaux publics, l'assainissement de l'eau. C'est sans aucun doute ce qui rend l'assemblée si réceptive.
Faire rêver. Mark, juriste chez Accenture est un anglais pragmatique. Rohani annonce que son pays sera bientôt dans les dix premières puissances économiques mondiales. "L'Iran a 75 millions d'habitants, analyse le consultant, c'est donc un pays important surtout grâce à ses ressources naturelles. Et il peut encore progresser. Maintenant, ajoute-t-il dans un sourire, 10 ans pour être parmi les meilleurs, ça me parait un peu ambitieux comme calendrier."
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Tenter de déstabiliser. Le Dr Schwab, grand manitou du forum, ose les questions qui fâchent. Une audace à laquelle il ne nous avait pas habitués face à d'autres leaders politiques controversés au cours des années précédentes. Sur le nucléaire iranien ? Rohani assure que son pays n'a jamais voulu autre chose que du nucléaire civil pour le bien de sa population. Léger frisson dans l'assemblée. "Si c'est du nucléaire civile, pourquoi enfouir les installations sous la montagne alors ?" s'agace un patron irlandais.
S’arranger avec la réalité. L'Iran est pacifiste martèle son président et il est prêt à travailler avec tous les pays. Tous ? A nouveau un sourire complice, "tous ceux que nous avons reconnus." Sous-entendu Israël n'en fait pas partie. Message reçu par Benjamin Netanyahu. Quelques heures plus tard, sur la même scène, ce dernier envoie lapidaire, "le discours de Rohani sonne bien, j'aimerais que ce soit vrai mais c'est faux. Normalement, le tango se danse à deux mais au Proche-Orient, le tango se danse au moins à trois." Israël, Iran et Etats-Unis.
Profiter du moment. Ironie de l'instant ou signe précurseur, Rohani quitte la salle après quelques applaudissements respectueux. A ses côtés, au même moment, un participant coiffé d'une Kippa. Davos vit dans une bulle alimentée par la respiration et les inspirations d'une population privilégiée qui n'a pas totalement abandonné ses rêves humanistes et qui, ce matin-là, avait envie de croire à un apaisement des relations au Proche-Orient. Un voeux un peu trop pieux sans doute.
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