Elle a presque retrouvé son visage d’avant : ses joues se sont comblées, ses cheveux sont plus épais, son teint n’est plus aussi pâle. Mais, alors que débute la campagne de promotion de son livre Même le silence a une fin, Ingrid Betancourt garde un sourire triste. L’ex-otage des Farc est libre depuis plus de deux ans. Elle a passé dix-huit mois à écrire.
700 pages où elle raconte la banalité, à la fois brutale et résignée, d’une vie en cage, au beau milieu de la jungle colombienne. Europe1.fr vous livre quelques extraits de cet ouvrage sorti mardi aux éditions Gallimard.
Cinq tentatives d'évasion
La liberté. "Comment sortir de là ? Comment reprendre la route ? Comment revenir à la maison ? Est-ce qu’il y aurait des gardes plus loin ? A la sortie du campement ? Il fallait que je regarde plus en détail, que je demande, que j’observe" : retrouver la liberté est une obsession sur laquelle Ingrid Betancourt revient tout au long du livre. Elle y raconte cinq de ses tentatives d’évasion, avec un suspense haletant. La première échoue parce qu’elle hésite trop longtemps à plonger dans une rivière. "Je compris que j’étais encore un être médiocre et quelconque. Que je n’avais pas encore assez souffert pour avoir dans le ventre la rage de lutter à mort pour ma liberté".
Clara Rojas. Evitant de formuler des critiques directes contre sa directrice de campagne, otage comme elle des Farc, Ingrid Betancourt préfère montrer les ravages de la promiscuité : "Nous étions alors enchaînées vingt-quatre heures sur vingt-quatre à un arbre et nous n’avions d’autre refuge que de passer la journée sous la moustiquaire, assises l’une sur l’autre dans un espace de deux mètres de long sur un mètre et demi de large". Et la confiance petit à petit s’effrite : "Je découvris avec stupeur qu’elle avait déjà entamé nos réserves de fromage et de comprimés de vitamine C. Je me sentis trahie".
"Allô, Maman ?"
Papa et Maman. Si Mélanie et Lorenzo, ses enfants, sont la principale raison de survivre d’Ingrid Betancourt, ce sont bien les figures de son père et de sa mère qui sont les plus présentes dans son récit. Son père, dont elle apprend le décès avec brutalité en lisant un entrefilet dans le journal, est un compagnon de mort : "J’allais mourir, j’allais imploser, j’allais crever dans cette jungle de merde. Tant mieux, j’irais le rejoindre. Je le voulais. Je voulais disparaître". Sa mère, qui lui parle chaque jour grâce à la radio, est, elle, le lien vers la vie. Jusqu’au jour de la libération : "- Allô, Maman ? – Astrid, c’est toi ? – Non, Maman, c’est moi, c’est Ingrid. Le bonheur de Maman fut ce que j’avais imaginé. Nous ne nous étions jamais quittées".
Dominique de Villepin. Parmi les voix qui parviennent à Ingrid Betancourt au plus profond de la jungle, grâce à la radio, celle de Dominique de Villepin. Il avait été le professeur d’Ingrid Betancourt à Sciences-Po, il était alors ministre des Affaires étrangères. "J’avais appris à faire abstraction du monde extérieur pour vivre dans mon silence, et entendais sans écouter. D’un coup, je m’arrêtai. C’était un son venu d’un autre monde, d’une autre époque : je reconnus la voix de Dominique. Je fis volte-face et courus entre les caletas pour coller mon oreille au poste qui se balançait accroché à un pieu". Ingrid Betancourt raconte que c’est à partir de là que les rancoeurs à son égard, la Franco-Colombienne, l’otage la plus médiatique des Farc, ont commencé à monter au sein même de ses compagnons d’infortune.
Le gâteau d'anniversaire des guérilleros
Les guérilleros. En devenant otage des Farc, Ingrid Betancourt, la fille de ministre, formée à l’étranger, représentante de l’élite de son pays, fait la rencontre de guérilleros avec qui elle n’a d’autre point commun que le fait d’être colombiens. Le choc de deux mondes, une vraie prise de conscience. "Je me disais que j’avais eu la vie trop facile, et que j’étais conditionnée par une éducation où la peur du changement se camouflait sous des prescriptions de prudence. J’observais ces jeunes gens qui me retenaient prisonnière et ne pouvais m’empêcher de les admirer. Ils n’avaient pas chaud, ils n’avaient pas froid, rien ne les piquait".
Ses geôliers. Les hommes et les femmes qui sont chargés de surveiller les otages sont à la fois des ennemis et des amis. L’un des premiers chefs des Farc qu’Ingrid Betancourt rencontre lui promet : "Les commandants m’ont chargé de vous transmettre leur bonjour. Vous allez voir, les FARC vont très bien vous traiter. Vous aimez la musique ? Qu’est-ce que vous aimez ? Des vallenatos, des boléros, de la salsa ? Ouvrez la boîte à gants, il y a tout ce que vous voulez là-dedans, allez-y ! Choisissez !". Avec certains, l’otage réussira à parler de son envie de fuir, cherchera à les convaincre de partir aussi. Avec d’autres, elle nouera une relation de confiance, allant jusqu’à éprouver de la tristesse après l’annonce de leur mort. Pour l’anniversaire de sa fille, Ingrid Betancourt raconte que des guérilleros ont fabriqué un gâteau au chocolat avec sur le dessus écrit : "pour Mélanie, de la part des Farc-EP".
Accro à l'encyclopédie
Le dictionnaire. Faire de la broderie, fabriquer des ceintures, lire la Bible, jouer aux cartes : la vie d’otage est rythmé par des activités banales. Ingrid Betancourt raconte être devenue "accro" au dictionnaire encyclopédique que ses geôliers lui avaient accordé. "Je passais ma matinée assise à ma table de travail, avec une vue imprenable sur la rivière, et voyageais dans le temps et l’espace au tournant de chaque page. Au début, j’avais obéi au caprice du moment. Mais, peu à peu, j’établis une méthodologie qui me permit de structurer mes recherches sur un thème préétabli avec la logique d’un jeu de pistes. Je ne pouvais pas croire à mon bonheur".
En mars 2009, alors qu’elle est libre depuis près d’un an, Ingrid Betancourt écrit encore sur sa lente reconstruction : "Je suis une rescapée ! La jungle est restée dans ma tête, même s’il n’y a rien autour de moi pour en témoigner, hormis la soif avec laquelle je bois la vie".