BASTION IMPRENABLE. Plus que quelques dizaines de kilomètres et les djihadistes tiendront la capitale irakienne, qu’ils semblent déterminés à faire tomber. Depuis leur assaut fulgurant début juin, les insurgés de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) contrôlent une bonne partie du nord du pays. Pourtant, il demeure en Irak un bastion imprenable et intouchable : le Kurdistan.
Les islamistes de l’EIIL ont totalement contourné les zones kurdes, évitant à tout prix de s’attaquer aux peshmergas, les combattants locaux. “Leur but (celui de l’EIIL, ndlr.) est de s’emparer de Bagdad”, indique à Europe 1 Myriam Benraad, spécialiste de l’Irak au Centre d’études et de recherches internationales, le Kurdistan restant pour l’instant hors de leur champ d’action. Mais à terme, la région fait bien partie de ce grand "Etat islamique en Irak et au Levant" que l'EIIL rêve de créer.
Les Kurdes ne lèveront pas le petit doigt. Aujourd'hui, pas de chariah, ni d’hommes en noir pour faire régner la terreur dans cette région autonome. Mais “il n’y a aucune alliance entre les Kurdes et les djihadistes”, met au point la chercheuse. Pas plus qu’il n’y a d’alliance avec Bagdad. Hors de question de participer à un gouvernement d’union nationale, comme l’a demandé John Kerry, le secrétaire d’Etat américain, lors de sa visite au Kurdistan irakien mardi. Les peshmergas (ceux qui regardent la mort en face, en kurde), ne lèveront pas le petit doigt pour les chiites, avec qui la rupture est consommée.
La chute de Bagdad arrange le Kurdistan. “Il faut bien comprendre la contradiction entre ce qui est internationalement et juridiquement reconnu (le pouvoir central existant à Bagdad, ndlr.) et la réalité sur le terrain”, analyse pour Europe 1 Hamit Bozarslan, directeur d’études à l’EHESS, spécialiste de la question kurde. “L’Irak en tant qu’Etat réel, existant, a cessé d’être”, continue l’expert.
Et le gouvernement du dirigeant kurde Massoud Barzani entend tirer son épingle du jeu de cette désintégration de l’Etat dont, officiellement, il dépend. Ils ont déjà récupéré la ville de Kirkouk, qu’ils considèrent comme leur capitale. “Les soldats irakiens ont eu peur de l’EIIL, ils se sont volatilisés, laissant nos peshmergas tout seuls”, selon la version officielle, rapportée par Slate. Massoud Barzani, président du gouvernement régional et chef du Parti démocratique du Kurdistan, a fait “un calcul froid, cynique” sur sa stratégie face à l’EIIL, celui de la “sanctuarisation” de leur territoire, selon Myriam Benraad.
Une indépendance à venir ? Massoud Barzani a affirmé lundi sur CNN que "le temps est venu pour le peuple kurde de déterminer son futur". De prendre enfin son indépendance ? Pour Hamit Bozarslan, cette possibilité est aujourd’hui tout à fait envisageable. Sandrine Alexis, de l’Institut kurde de Paris, va plus loin en estimant que la proclamation d’indépendance ne saurait tarder. “Massoud Barzani peut soit être LE chef d’Etat qui a franchi le pas (de l’indépendance, ndlr.) ou celui qui a manqué cette occasion historique”, estime-t-elle.
Si pour l’instant, la région autonome se protège de l’EIIL, ses dirigeants ont bien conscience du danger que fait peser le groupe terroriste sur la région. Car le Kurdistan fait partie du grand “Etat islamique en Irak et au Levant” que l’EIIL veut créer. Et rien n’indique que les djihadistes ont l’intention de l’épargner à long terme.
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