Israël : les juifs éthiopiens "sont des boucs émissaires"

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3 QUESTIONS A – Les juifs originaires d'Ethiopie sont dans la rue en Israël. Ils clament leur colère face aux discriminations dont ils s'estiment victimes.

Combien étaient-ils dans la rue, dimanche, pour dire leur colère ? Selon les décomptes, quelques centaines à plusieurs milliers de juifs d'origine éthiopienne ont manifesté à Tel Aviv. Le rassemblement a vite dégénéré et près de 70 personnes ont été blessées.

Au lendemain de cet embrasement, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a promis de recevoir les représentants de la communauté lundi tandis que le président Reuven Rivlin a estimé lundi que les "manifestants de Jérusalem et de Tel-Aviv ont révélé une plaie ouverte et vive au cœur de la société israélienne (...) Nous devons nous pencher directement sur cette plaie ouverte. Nous avons commis des erreurs, nous n'avons pas assez ouvert les yeux et nous n'avons pas assez tendu l'oreille".

Europe 1 vous donne les clés pour comprendre la situation des Israéliens d'origine éthiopienne avec Sébastien Boussois, docteur en sciences politiques, collaborateur scientifique de l'Institut d'Etudes Européennes/REPI (Université Libre de Bruxelles). Il est également l'auteur de Israël entre quatre murs : le complexe de sécurité face aux Printemps arabes.

Qui sont ces juifs éthiopiens, dont le film Va, vis et deviens de 2005 avait donné une idée des difficultés ?

"Israël est une terre d'immigration, une agrégation de multiples communautés, avec des vagues d'immigration régulières, comme les russophones dans les années 90. Dans les années 80, au moment de la grande famine en Ethiopie, le gouvernement a eu une politique délibérée d'immigration. Après avoir consulté les autorités religieuses, les Falachmouras, les juifs éthiopiens, ont pu profiter de la loi du retour (qui permet à tout juif de prétendre à la nationalité israélienne, ndlr.). D'après la Hala'kah, qui édicte des avis sur des questions religieuses, ils étaient bien des descendants de la reine de Saba et du roi Salomon.

En quelques années, la population d'origine éthiopienne en Israël est donc passée de quelques dizaines de milliers à près de 140.000 aujourd'hui."

Juifs éthiopiens Israel AFP

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Quelle est leur situation en Israël ?

"Plutôt que d'être considérés comme juifs d'abord, les Falachmouras sont souvent vus comme noirs, tout comme les juifs orientaux sont davantage vus comme des arabes. Ils sont des boucs émissaires et subissent des discriminations à l'embauche. Le taux de chômage est très important dans cette communauté. Les Falachmouras sont une catégorie très paupérisée, recevant des aides de l'Etat.

La deuxième génération veut désormais construire son identité dans son pays. Après un creuset d'ouverture favorable pour la première génération, les possibilités se sont refermées avec l'émergence d'un discours politique radical. Je ne vois pas comment les choses peuvent s'arranger dans un contexte de crise profonde. Mais ce n'est pas spécifique à Israël mais à tous les pays riches en crise. C'est la même chose en France, la vie est plus complexe quand on est immigré.

La force démographique des juifs d'origine éthiopienne – ils sont près de 140.000 pour une population totale de 8 millions d'habitant – n'est pas compensée par une représentation politique suffisante. Démographiquement, les russophones sont, certes, bien plus implantés, mais ils ont aussi des représentants forts, comme Avidgor Lieberman (le ministre des Affaires étrangères)."

Une vidéo qui montre un soldat d'origine éthiopienne se faire frapper par deux policiers a mis le feu aux poudres à Tel Aviv. En quoi est-elle symptomatique des problèmes subis par cette communauté ?

"Voir un policier israélien s'en prendre à un soldat noir éthiopien exprime pour la communauté un paradoxe profond. Celui de devoir faire allégeance à l'Etat juif et démocratique, tout en étant contesté sur leur judaïté et sans avoir de contrepartie en termes d'égalité. Les juifs éthiopiens doivent s'engager dans l'armée, comme tout Israëlien, mais se retrouvent malgré tout mis à l'écart politiquement."