ZOOM - Ces affrontements ne sont pas comparables à ceux du Caire mais il y a quelques similitudes.
L'INFO. A la base, il s'agissait d'une simple manifestation contre le projet immobilier de la place stambouliote de Taksim en Turquie. Mais rapidement, les cortèges ont tourné à l'affrontement politique. Dans le viseur : le Premier ministre turc islamo-conservateur, Recep Tayyip Erdogan, accusé de dérive autoritaire. Au total, 1.700 personnes ont été arrêtées, et quelques centaines d'autres blessées. Sur cette place phare d'Istanbul, certains manifestants avaient des banderoles qui faisaient clairement allusion au "Printemps arabe" : "Ici, c'est la place Tahrir d'Istanbul", pouvait-on lire. Au-delà du slogan, ce nouveau lieu de la contestation a-t-il des similitudes avec la place égyptienne, symbole de la révolution de 2011 ? Éléments de réponse.
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Où est-elle ? La place Taksim, dessinée dans les années 30 par le Français Henri Prost, se situe dans le centre moderne et touristique d'Istanbul, sur la rive occidentale de la ville. Comme Tahrir au Caire, Taksim est un endroit stratégique qui, situé entre la Corne d'Or et le Bosphore, donne accès au nouveau quartier des affaires", mais il est également proche "des lieux branchés d'Istanbul qui ne se reconnaissent ni dans les grands projets du gouvernement, ni dans ses conceptions sociopolitiques", explique Jean Marcou, professeur à Sciences-Po Grenoble, interrogé par le Huffington Post.En plus d'un centre culturel majeur de la ville, Taksim est également un carrefour routier d'importance et une plaque tournante pour les transports publics, comme l'est la place Tahrir en Egypte.
Quelle est sa symbolique ? Cette place a une grande symbolique puisqu'elle abrite le "Monument de la République", construit en 1928, ainsi que le centre culturel Ataturk. Elle est aussi et surtout le lieu de nombreux événements publics comme les manifestations de la société civile et notamment de l'opposition de gauche. Elle évoque notamment chez les Stambouliotes, "la manifestation du 1er mai 1977, au cours de laquelle une trentaine de personnes périrent, victimes d'un mouvement de panique provoqué par des coups de feu dont l'origine n'a jamais pu être élucidée", affirme encore Jean Marcou. Depuis 2010, Taksim était également devenue le lieu de départ du cortège de la fête du travail. Mais cette année, la municipalité a interdit le rassemblement à cause des fameux travaux en cours, ce qui avait ravivé les tensions.
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Des ressemblances avec Tahrir. Même si pour l'instant, ce mouvement n'a pas de grandes similitudes avec le "Printemps arabe", les manifestants turcs -qui s'apparentent davantage aux "Indignés"- se reconnaissent dans cette révolution égyptienne. Comme a pu le constater Marwan Chahine, le correspondant de Libération au Caire, l'une des photos les plus partagées sur la Toile n'est autre que celle d'une jeune manifestante qui tient un carton sur lequel est écrit : "Tahrir, Syngtama, Taksim", les trois grandes places égyptienne, grecque ou turque.
Les images, faites par les agences de presse mais également les manifestants diffusées sur les réseaux sociaux, ressemblent aussi à ce qu'on a pu voir place Tahrir : des mares de sang, des nuages de gaz lacrymogènes, les canons à eau, et une répression policière violente. "On retrouve certaines images qui ont été chez nous des clichés de la révolution", confirme Hicham Ezzat, un militant franco-égyptien, interrogé par Libération (édition abonnés). Pour certains manifestants (des gens de l'extrême gauche, des ultranationalistes, des écologistes, des supporters de foot, etc.), le pouvoir autoritaire d'Erdogan n'est pas aussi éloigné de celui des Frères musulmans du président Morsi. "Il y a une réelle similitude" entre leur "idéologie liberticide et le "non-respect de la démocratie", renchérit Hicham Ezzat. Plusieurs mouvements politiques cairotes ont d'ailleurs appelé les Turcs à se rassembler le 30 juin prochain lors d'un grand rassemblement en Egypte ou en Tunisie.
Que va-t-on faire de Taksim ? Au départ, seulement quelques personnes tentaient d'empêcher le déracinement de 600 arbres, sur le parc Gezi, en bordure de la place Taksim. Le maire AKP (le Parti pour la justice et le développement) compte transformer ce carrefour en zone piétonnière et commerciale sous laquelle passeraient des autoroutes. Ce parc va, lui, céder la place à la réplique d'une caserne militaire de l'empire ottoman qui accueillera un centre culturel voire un centre commercial. Le projet de la municipalité d'Istanbul, tenue par le parti islamo-conservateur, vise à rendre aux piétons la place Taksim, engorgée depuis des années par la circulation automobile cauchemardesque d'une ville de plus de 15 millions d'habitants. Mais certains refusent de voir la place Taksim accueillir un des nombreux centres commerciaux qui ont éclos depuis dix ans en Turquie à la faveur de sa forte croissance économique.
De façon plus générale, le gouvernement et la municipalité ont lancé récemment une série de projets géants à Istanbul, parmi lesquels un troisième pont sur le Bosphore et un troisième aéroport appelé à devenir le plus important du monde, qui doit être construit au beau milieu de l'une des dernières zones "vertes" de la ville.