Les images sont spectaculaires. En Algérie, en Mauritanie, en Egypte etc. un peu partout dans les pays arabo-musulmans, des personnes s’immolent par le feu toujours devant des lieux de pouvoir. Que cherchent ces hommes et ces femmes par ces gestes désespérés ? C’est ce qu’a cherché à comprendre le quotidien algérien El Watan en recueillant des témoignages rares.
Fatema a quarante ans. Divorcée, cette habitante de Sidi Bel Abbès, au nord-ouest d’Alger, est la première Algérienne à avoir tenté de s’immoler par le feu la semaine dernière. "Je voulais mourir, je veux encore mourir", témoigne-t-elle. Sur le site du quotidien, elle explique que l’APC (la mairie) a lancé un programme de restauration des habitations précaires. Sa mère s’est donc présentée pour déposer un dossier. En vain. "Je n’ai pas supporté de la voir éplorée et humiliée, je suis donc allée à l’APC de Sidi Ali Benyoub. Ils m’ont dit que dix cas ont été choisis, on a retiré notre dossier de la liste en me précisant que si ça ne me plaisait pas, je n’avais qu’à me plaindre ! J’ai pris de l’essence de la moto de mon frère et je suis repartie à l’APC. Je voulais qu’ils me voient mourir."
"Servir la cause des autres"
Même rage, même désespoir pour Senouci Touati. "J’encaisse depuis des années en silence", raconte-t-il à son tour au site. Ce chômeur de 34 ans s’est aspergé d’essence avant de craquer une allumette et d’allumer ses jambes, en face de la wilaya de sa ville. "Khezit echitane (j’ai maudit le diable) et j’ai résisté à cette petite voix en moi qui me disait de le faire. Mais c’en était trop. Trop de hogra, trop de mépris, trop de détresse et aucune autre issue que la mort. J’ai voulu me sacrifier, je voulais faire entendre ma voix et servir la cause des autres que j’aurais laissé derrière moi".
Ces immolations sont des "actes politiques", confirme Smaïn Laacher, sociologue au Centre d'étude des mouvements sociaux (CNRS-EHESS). "Ce phénomène très nouveau est un mode de protestation publique qui consiste à prendre à témoin les autres. En Algérie, en Tunisie et au Maroc, les immolations par le feu sont liées à des problèmes sociaux, au chômage, à des problèmes de logement. Dans ces pays, les institutions sont totalement déconnectées des populations. Elles poussent les gens à des actes désespérés. Ces actes interviennent après le refus à des demandes visant à améliorer l’existence c’est d’ailleurs pour cela que les immolations ont lieu près des lieux symbolisant le pouvoir", conclut-il.
Les autorités religieuses condamnent
L’immolation par le feu n’est donc pas un suicide. "Le suicide reste dans l’espace privé alors que l’immolation par le feu se déroule dans l’espace public. On prend les autres à témoin d’une injustice", décrypte Smaïn Laacher. "Le feu a une symbolique extraordinaire. C’est un acte qui a pour but la suppression du présent, du passé et de l’avenir. On ne veut plus laisser de traces. Paradoxalement, si on en réchappe on garde une trace pour soi et pour les autres".
Dans ces pays où l’islam est la religion d’Etat, cette vague d’immolations a du mal à passer. Associés au suicide "interdit" comme dans toutes les religions du livre, ces actes ont été vivement condamnés par les autorités religieuses. "Il ne faut pas que ce crime se propage, et le musulman ne doit pas avoir recours à un tel acte, qui est considéré comme un suicide et qui ternit l’image des musulmans", a rappelé vendredi au journal Al-Hayat, le grand mufti d’Arabie Saoudite Abdel Aziz al-Cheikh, cité par Le Matin.
"Les Muftis, les Imams n’ont rien compris", déplore Smaïn Laacher. " Ils sont préoccupés par les dogmes, par la soumission à la religion. Au fond, les personnes qui s’immolent nous disent que la société est un enfer. Peu importe si dans l’au-delà, ils seront aussi en enfer ".