A écouter les prévisions et les experts, la ville aurait dû tomber aux mains des djihadistes il y a trois semaines déjà. Mais Kobané semble résister coûte que coûte à l’assaut de l’Etat islamique, qui contrôle tout de même près de 50% des rues et ruelles de cette agglomération kurde en Syrie. A la tête de cette résistance inattendue, un groupe armé soutenu par les pays coalisés.
Jusque-là, rien d’étonnant. Sauf que les Unités de protection du peuple (YPG), les combattants en question, sont proches, très proches du Parti des travailleurs du Kurdistan, toujours sur les listes américaine et européenne des organisations terroristes. Le PKK serait-il devenu respectable à la faveur de la percée djihadiste dans la région ?
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Le PKK et la Turquie, des ennemis historiques. Petit retour en arrière. Dans les années 80, le PKK radicalise ses actions armées en Turquie pour réclamer une reconnaissance des Kurdes ainsi qu’une organisation plus fédérale du pays. En près de trente ans, cette lutte a fait entre 30 et 40.000 morts selon Ankara, qui voit le parti des travailleurs comme son ennemi numéro un. Au faîte des tensions, certains dirigeants, dont le leader Abdullah Öcalan, se réfugient dans la Syrie voisine et tissent des liens avec les Kurdes syriens. Comme l’explique pour Europe 1 Myriam Benraad, chercheuse au CERI à Sciences Po et à l’Iremam, "le PYD (l’organisation politique dont l’YPG est la branche armée, ndlr.) n’est que l’enfant du PKK sur le territoire syrien".
Si la Turquie négocie depuis 2012 avec le PKK, sa position reste très claire : YPG, Etat islamique, même combat. Ankara refuse donc d’aider les Kurdes à garder la ville face aux djihadistes. Vendredi, la position s’est malgré tout infléchie sous la pression des Occidentaux. La Turquie a fini par rouvrir sa frontière pour laisser passer des renforts à la rescousse de Kobané. Mais, comme le rappelle Myriam Benraad, cette ouverture est "très minime. Ankara refuse toujours que ses bases aériennes soient utilisées par la coalition" pour frapper l’Etat islamique.
A l’origine du refus turc, une crainte viscérale. Si l’YPG parvient à défendre Kobané, la ville pourrait bien devenir une vitrine politique pour le parti. Et attiser les velléités séparatistes côté turc. Dans sa logique, Ankara n’aurait rien à gagner à aider Kobané. "Le PKK va tirer son épingle du jeu" de cette guérilla urbaine, analyse Myriam Benraad. Les peshmergas syriens soutenus par leurs amis turcs acceptent de livrer une âpre bataille, mais ne vont pas s’empêcher d’"imposer un certain nombre de conditions" en Syrie, et par résonance en Turquie.
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Un allié de circonstances. A l’heure actuelle, impossible pour les pays occidentaux coalisés de compter sur la Turquie pour combattre l’Etat islamique. "On fait donc le pari du PKK, d’autant plus qu’Ankara campe sur ses positions", concède la spécialiste. Des avions américains viennent régulièrement bombarder les positions djihadistes dans la ville pour aider l'YPG. Lundi, pour la première fois, les combattants kurdes ont profité d’un parachutage d’armes, de la part des Etats-Unis. Une aubaine, a affirmé le même jour un porte-parole kurde, Redur Xelil.
Dans ce contexte, les Etats-Unis tentent de ménager la chèvre et le chou. Avant d’envoyer de l’aide militaire à l’YPG à Kobané, Barack Obama a tenu à prévenir son homologue turc. La France, elle, mesure ses propos. Manuel Valls a appelé "la Turquie à prendre toutes ses responsabilités" et à ouvrir ses frontières aux combattants. "Nous le devons à nos amis kurdes", a temporisé le Premier ministre, qui n’a pas nommément cité le PKK.
Myriam Benraad table, elle, sur "une mise en stand-by des anciennes querelles". Les Etats-Unis acceptent de soutenir temporairement l’YPG, affilié à une organisation terroriste, car "les réalités sont tellement bouleversées qu’on préférera toujours soutenir le PKK que de laisser l’Etat islamique gagner du terrain". Pour l’heure, impossible de dire quelle organisation terroriste va gagner la bataille de Kobané. Il faudra, dans le meilleur des cas, gérer l’après et envisager de nouvelles relations avec le groupe armé kurde.