L'INFO. Le black-out des autorités algériennes sur la santé du président Abdelaziz Bouteflika a relancé de plus belle les conjectures dans la perspective de l'élection présidentielle prévue dans moins d'un an. Ces derniers jours, les appels se sont multipliés dans la presse pour faire appliquer l'article 88 de la Constitution sur une procédure d'empêchement du président, hospitalisé depuis le 27 avril à l'hôpital militaire du Val de Grâce à Paris.
"Après avoir subi des examens médicaux à l'hôpital du Val-de-Grâce à Paris, le président de la République, dont le pronostic vital n'a jamais été engagé et qui voit son état de santé s'améliorer de jour en jour, est tenu, sur recommandation de ses médecins, d'observer un strict repos en vue d'un total rétablissement", a affirmé lundi soir le Premier ministre Abdelmalek Sellal, cité par l'agence APS.
>>> A lire : La santé de Bouteflika inquiète l'Algérie
Pourquoi un tel silence ? Cette communication "au compte-goutte" depuis plusieurs semaines sur la santé du président de la part d'Alger est classique, selon l'historien Benjamin Stora. "Ce secret renvoie au système politique algérien depuis l'indépendance des années 1960. On avait assisté à ce type de secret pour le chef d'Etat, Houari Boumédiène et son interminable agonie (il est mort le 27 décembre 1978, ndlr)", affirme ce spécialiste interrogé mardi par Europe 1. Ce secret qui entoure la maladie ou l'absence d'un chef d'Etat "est très révélateur de pratiques politiques contestées par des journalistes algériens et par de nombreux hommes politiques algériens qui exigent davantage de transparence", a-t-il ajouté.
Ce silence traduit également un manque de préparation du pouvoir algérien. "L'absence de communication des sphères du régime indique précisément que toute une série de tractations a lieu actuellement. Si la tractation était aussi sereine, il y aurait une communication plus simple, évidente, transparente, autour de la santé de Bouteflika", analyse Benjamin Stora.
"À défaut d'information, la rumeur gagne et les maladresses s'accumulent. C'est ainsi que l'on peut résumer cette situation où chacun suppute, à qui mieux mieux, sur la santé du président de la République", juge de son côté le quotidien algérien francophone Liberté.
Pourquoi la France ne communique pas ? Paris est frileuses sur ce dossier. Les autorités françaises préfèrent pour l'instant rester muettes alors que le président algérien est toujours dans l'hexagone, selon les informations recueillies par Europe 1 lundi. "Cette situation s'est déjà produite en 2005 quand Bouteflika a disparu pendant plusieurs semaines, puis a réapparu", se souvient Benjamin Stora. "On avait déjà observé le silence politique des autorités françaises. Il continue. N'oublions pas que l'Algérie reste un grand partenaire politique et économique, notamment depuis la guerre au Mali", renchérit l'historien au micro d'Europe 1.
Mardi, le quotidien arabophone Echorouk dénonçait carrément le fait que les "services secrets français soient informés avec précision de l'état de santé du président".
"Passer la main". A Alger, la transition est déjà envisagée par certains milieux politiques. L'avocat Ali Yahia Abdennour, un chef historique de l'opposition, a appelé Bouteflika à "passer la main", jugeant que la maladie rendait "indispensable son retrait" après 14 ans au pouvoir. "La lutte pour la succession est ouverte, mais tout est bloqué. Aucune initiative n'est prise", a jugé lundi ce défenseur des droits de l'Homme de 92 ans, dans un entretien au quotidien algérien El-Watan. Le chef du Parti El-Fadjr el-Jadid, Tahar Benbaïbèche déplore une situation sans précédent : "l'Algérie n'a jamais connu une situation comme celle-là depuis l'indépendance", il y a presque 51 ans. "L'absence du président de la République a provoqué une situation de blocage de toutes les institutions. Le Parlement, avec ses deux Chambres, ne fonctionne plus", affirme-t-il.
"Les institutions fonctionnent". Un avis contesté par le député Ramdane Taazibt, du Parti des Travailleurs (trotskyste) : "contrairement à ce que veulent faire croire certains il n'y a pas de chaos ni de vacance de pouvoir. Les institutions fonctionnent normalement".
Dans le camp présidentiel, le Front de Libération Nationale (FLN) premier parti de l'Assemblée nationale avec 208 députés sur 462, la prudence est de mise. "Nous sommes encore dans la gestion de la situation née de la maladie du président", souligne Kassa Aïssi, porte-parole du FLN. "Soit le président est en mesure de poursuivre sa mission, soit il ne peut pas et on sera dans une nouvelle dynamique à ce moment-là", confie Kassa Aïssi. Nombre de partisans du FLN voulaient avant son hospitalisation voir le président actuel se relancer pour un 4e mandat au scrutin d'avril 2014.
Qui pour succéder à Bouteflika ? Depuis des semaines, certaines personnalités se sont déclarées candidates à la présidence, mais aucune ne semble vraiment se dégager. Dernier en date, samedi, l'ancien militaire, Seddik Menassel, durant le congrès constitutif de son parti l'Union des nationalistes algériens. La presse se perd en conjectures pour choisir un candidat susceptible de l'emporter, en tenant compte du pouvoir de décision de l'armée sur l'avenir du pays : d'abord l'ancien Premier ministre, Ali Benflis, qui s'était déjà porté candidat contre le président en 2004 dont il était un proche. L'économiste Ahmad Benbitour est également cité, de même que l'ex-Premier ministre Ahmed Ouyahia et son successeur Abdelmalek Sellal.