C'est un peu la fin du plus grand défaut de paiement de l'histoire. Onze ans après la crise de la dette, l'Argentine doit rembourser vendredi les derniers porteurs de titres émis lors du gel des avoirs bancaires de la crise, surnommé le "corralito" (petit enclos). Cette année-là, le pays était officiellement en faillite.
Dans une mise en scène très soignée, un compte à rebours a été installé sur écrans plats au ministère de l'Economie : "nous finissons de rembourser le 'corralito' dans 0 jour, 14 heures, 05 minutes, 12 secondes. Sans dette, nous sommes davantage libres", pouvait-on lire.
Le "corralito", ou gel des avoirs bancaires, entré en vigueur le 3 décembre 2001, a été le déclencheur du gigantesque défaut : 100 milliards de dollars (75 milliards d'euros). "Une période historique se referme", s'est réjouie jeudi soir la présidente argentine Cristina Kirchner lors d'un discours à la Bourse de Buenos Aires. "Ce que nous allons rembourser maintenant n'est rien d'autre que ce que les banques auraient dû rembourser aux citoyens", a-t-elle ajouté
"C'était une fuite en avant"
C'est pour stopper les retraits -18 milliards d'euros en moins de trois mois- et empêcher la chute des banques que le ministre de l'Economie Domingo Cavallo ordonne en 2001 le gel de tous les dépôts : près de 70 milliards de dollars. "C'était une fuite en avant", estime l'ancien ministre argentin de l'Economie Roberto Lavagna entre 2002 et 2005.
Pour le père du rétablissement argentin après la crise, "au lieu de changer de politique économique, on prend alors une décision désespérée qui ne fait qu'aggraver la situation". Leur argent bloqué sur les comptes bancaires, les Argentins paniquent et ne font plus confiance à leurs banques.
D'autant que l'inflation provoque des pillages :
"Mon épouse avait une maladie"
Mais pour le secrétaire de "l'Association des personnes lésées par le défaut", Hugo Vazquez, "la fin du corralito est un récit officiel". "Pour des milliers d'entre nous, il est loin d'être fini", a-t-il assuré, en référence à tous les procès encore en cours et aux nombreuses vies brisées.
En effet, pour des milliers d'Argentins, le cauchemar de la perte de leur épargne est encore vivace. "J'avais été licencié et avais placé mon indemnisation sur un compte en dollars à la Scotianbank", a raconté Alberto Aran, 70 ans.
"Mon épouse avait une maladie rare et je n'ai pas pu retirer un seul centime de dollar pour payer ses traitements", ajoute-t-il. "La Scotianbank a quitté l'Argentine sans rembourser ses clients et nous avons dû vendre une petite maison, au pire moment, la moitié de sa valeur". Alberto Aran a depuis perdu sa femme et n'a jamais récupéré son épargne en dollars malgré un long procès. Mais il continue d'assister aux réunions de l'Association des personnes lésées par le défaut, comme une sorte de thérapie.
"On voulait me rendre des pesos"
Beaucoup ont récupéré leurs dépôts grâce à des décisions de justice. Mais des milliers d'autres se battent encore. Norma Rodriguez, retraitée de 74 ans, se bat pour 4.106 dollars (3.371 euros). "J'avais un compte en dollars et on voulait me rendre des pesos", déplore-t-elle. "Certains ont accepté des pesos, d'autres des titres, moi ni l'un ni l'autre", a-t-elle ajouté.
Le gouvernement argentin a émis des titres pour 19,6 milliards de dollars (15,9 milliards d'euros), dont les derniers, pour 2,3 milliards de dollars (1,86 milliard d'euros), sont remboursés vendredi.
"On donnait un titre à un épargnant, mais comme il avait besoin d'argent, il le revendait à une banque : s'il valait 100, on lui en donnait 60", se souvient, dans ses bureaux du Congrès, le sénateur Eugenio "Nito" Artaza (radical, opposition) qui a pris la défense des épargnants. Et il ajoute : "aujourd'hui, alors que le gouvernement annonce la fin du corralito, ce même titre est payé 100 dollars, mais c'est la banque qui encaisse !".