La justice égyptienne entame samedi le procès de Naguib Sawiris, magnat des télécoms accusé par des intégristes d’avoir porté atteinte à l’islam. Son tort ? Avoir relayé sur Twitter en juin 2011 un photomontage représentant les personnages de Mickey et Minnie en tenue islamique : le premier est affublé d’une longue barbe et d’un keffieh, tandis la seconde est cachée derrière un niqab.
Naguib Sawiris avait publié ce message sur Twitter pour railler le camp intégriste, affirmant que les célèbres souris de Disney seraient forcés d'adopter cette tenue en cas de victoire islamiste aux législatives en Egypte. Se sentant offensé, Mahmoud Ismaïl, un avocat membre du mouvement ultraconservateur de la Gamaa al-Islamiya, a déposé plainte.
Sawiris, une personnalité controversée
Si Naguib Sawiris se retrouve dans l’œil du cyclone, c’est aussi parce qu’il est l’une des personnalités les plus connues d’Egypte. Cet homme d’affaire, notamment spécialisé dans les télécoms, est connu de tous, d’autant qu’il a décidé de se lancer en politique en mai 2011.
"Cette affaire a un très grand écho car c’est une personnalité très controversé, principal financier du camp libéral, actionnaire dans plusieurs médias anti-islamistes, mais aussi l’homme le plus riche du pays, à l’exception de l’entourage de l’ancien président Moubarak", décrypte depuis Le Caire Tewfick Aclimandos.
"Il n’en est pas à sa première déclaration prêtant à controverse mais je ne m’attendais pas à ce qu’on s’attaque à lui pour ce dessin", poursuit pour Europe1.fr le chercheur associé à la chaire d'histoire contemporaine du monde arabe au Collège de France.
Une affaire plus politique que sociétale
Cette affaire ne se résume néanmoins pas à la dimension médiatique de Naguib Sawiris. "Cette mobilisation vise non seulement une grande fortune mais aussi l’un des trente membres du ‘Conseil de guidance’ censé aider à préparer la Constitution et les prochaines élections", confirme pour Europe1.fr Dominique Avon, enseignant à l’université du Maine et spécialiste de l’histoire comparée des religions.
Au-delà des accusations de mépris de l’islam, il est donc surtout question de politique : Naguib Sawiris est aussi visé en tant que fondateur du parti libéral des Egyptiens libres. La coalition libérale, dont fait partie cette formation politique, a recueilli près de 15% des suffrages au cours de l'élection du Parlement, devenant donc "la cible de nombreuses critiques, notamment de la part des Frères musulmans et des salafistes", rappelle Dominique Avon.
La religion, sujet de plus en plus sensible en Egypte
L’affaire Naguib Sawiris est donc à la croisée des chemins, mêlant discours anti-businessman et intérêts politiques. Avec cette blague que les plus pieux jugent blasphématoire, tous les ingrédients sont réunis pour susciter une polémique dans un pays où les esprits se crispent de plus en plus dès qu’il est question de religion.
"L’Egypte est un pays très confessionnalisé avec des tensions religieuses sérieuses. Il est donc difficile de faire des réflexions sur la religion et quand c’est un Copte (comme l’est Naguib Sawiris, ndlr), c’est encore plus grave. Ils ont donc saisi la première occasion", estime Tewfick Aclimandos.
L’historien Dominique Avon acquiesce et souligne "une instrumentalisation de la religion", avant de dresser un parallèle avec l’affaire des barbiers de Port-Fouad, lorsqu'une mouvance salafiste avait intimé aux barbiers de la ville ne plus raser les hommes pour qu’ils conservent une apparence pieuse. La "barbe" de Mickey s’inscrit donc dans cette série et a constitué une occasion en or de crier à l’insulte contre l’islam.
Un chapelet de procès pour blasphème
"Des entrepreneurs religieux se sont mis à harceler judiciairement tout ce qui ressemble à des critiques contre la religion", confirme Tewfick Aclimandos, avant de déplorer que "la justice a souvent tendance à donner raison à la partie qui attaque."
Pas plus tard que le 2 février, le plus célèbre des acteurs comiques égyptiens, Adel Imam, était aussi condamné pour "diffamation envers l'islam" alors que ses plus grands films, dont le corrosif Le Terroriste, n’ont jamais provoqué d’émeutes.
Face à ce relent de religiosité non dénué d’arrière-pensées politiques, les autorités religieuses égyptiennes commencent néanmoins à prendre le mesure du problème. La plus grande autorité morale du pays et de l’Islam sunnite, l’université Al-Azhar, a même été amenée à publier début janvier un document rappelant que l’islam doit être respecté mais ne peut servir de prétexte à d’autres combats.
Le Printemps arabe a libéré la parole
Depuis le Printemps arabe, la société égyptienne fait donc "le grand écart", résume Dominique Avon : "la parole a été libérée, beaucoup de choses peuvent être dites, même si tout ce qui touche au religieux est devenu extrêmement sensible".
Et Tewfick Aclimandos de conclure : "le printemps arabe a eu un effet extraordinaire sur la créativité et la liberté de parole mais les ennemis de la liberté n’ont pas disparu".