Les dernières infos. L'Egypte s'enfonce encore un peu plus dans la crise. Deux personnes ont été tuées mercredi par des tirs de chevrotine lors d'affrontements entre manifestants et policiers près de la place Tahrir au Caire. Leur mort porte à 54, le nombre des personnes tuées au total dans le pays. Dimanche soir, Mohamed Morsi a tenté d'apaiser la grogne. Il a appelé à un dialogue national, d'abord rejeté par la principale coalition de l'opposition, le Front du salut national (FSN). Son coordinateur FSN et ex-directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique, Mohamed ElBaradei, a infléchi sa position mercredi en appelant à une réunion d'urgence.
Reste que le débat est de plus en plus houleux en Egypte. Un éditorialiste proche des islamistes, Fahmi Howeidi, va même encore plus loin. "Il serait courageux de la part de M. Morsi de lancer une initiative pour la tenue d'élections présidentielles (anticipées) en même temps que les législatives", prévues au printemps, écrit-il dans al-Chourouq. Signe de la gravité de la crise, Mohamed Morsi a annulé une visite prévue vendredi à Paris.
D'où est partie la révolte ? Les violences ont débuté jeudi soir, au moment du deuxième anniversaire du début de la révolte contre Hosni Moubarak. Mais les heurts les plus sanglants ont eu lieu à Port-Saïd, où 42 personnes ont péri dans des violences. Elles font suite à la condamnation à mort, samedi, de 21 supporteurs du club de football local Al-Masry, impliqués dans des affrontements meurtriers l'an dernier à l'issue d'un match contre le club cairote d'Al-Ahly.
Les raisons de cette contestation ? Ces affrontements, les plus meurtriers depuis l'élection présidentielle de juin 2012, se déroulent sur fond de forte contestation du pouvoir de Mohamed Morsi par l'opposition laïque depuis des mois, doublée d'une sévère crise économique. Pour une partie de la population, il y a une "grande déception" après le Printemps arabe car les avancées sociales escomptées "n'ont pas abouties" à la suite de l'arrivée au pouvoir des Frères musulmans, analyse Frédéric Encel, géopolitologue*, interrogé par Europe1.fr.
Dans les cortèges de contestataires, la population s'est largement impliquée, davantage encore que lors du référendum sur la Constitution. Pour preuve : des femmes, des adolescents venus des quartiers pauvres du Caire mais aussi et des anarchistes (les "Black Bloc") qui sont apparus sur le devant de la scène. Les "Frères musulmans ont été élus notamment pour faire du social et la population se sent abandonnée. Les conditions sociaux-économiques se sont dégradées", alors qu'une hausse des taxes est à venir dans le cadre d'un prêt du Fonds monétaire internationale (FMI). "Les seuls qui se sont préoccupés des conditions sociales ces dernières années étaient les Frères musulmans. Les Egyptiens sont dans l'attente de ce pour quoi ils les ont élus", rajoute Frédéric Encel.
Parallèlement, il y a une inquiétude prégnante "d'une dérive autoritaire" la part du pouvoir, renchérit ce géopolitologue, qui s'est notamment déjà exprimée lors du référendum sur la Constitution, remporté par le camp du président Morsi.
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Quel rôle joue l'armée ? L'influente et économiquement puissante institution militaire, qui a dirigé l'Egypte pendant près d'un an et demi après la chute de Hosni Moubarak, s'était faite plus discrète depuis que le président Mohamed Morsi est au pouvoir. Mais depuis quelques jours, l'armée égyptienne s'est montrée plus ouvertement impliquée dans les affaires de l'Etat. Face à cette contestation, le pouvoir a dû faire appel aux militaires pour rétablir l'ordre. Après avoir décrété l'état d'urgence et le couvre-feu dans trois provinces -systématiquement bafoué-, le président Morsi va sans doute devoir lâcher du lest et alléger ou lever ces mesures dans les prochains jours.
L'institution militaire est encore montée au créneau mardi mettant en garde contre "l'effondrement de l'Etat" si la situation actuelle dans le pays perdurait. Une sortie qui en Egypte n'est jamais le fruit du hasard. Le ministre de la Défense et commandant des forces armées, le général Abdel Fattah al-Sissi, a sommé "toutes les forces politiques" de mettre en veilleuse leur conflit pour trouver une solution aux "problèmes politiques, économiques, sociaux et sécuritaires".
Un putsch, c'est possible ? "C'est vraisemblable surtout s'il y a une poursuite des dégradations des conditions de vie des Egyptiens", décrypte Frédéric Encel. "Même si on est dans la rhétorique pour l'instant avec une armée qui joue les épouvantails", l'état-major donne l'impression de "préparer le terrain à un retour au pouvoir", ajoute-t-il. "L'armée va jouer un rôle de recours" en matière de sécurité tout en se tenant à distance d'éventuels accrochages avec les civils. Toutefois, "Mohamed Morsi dispose encore d'une forte majorité au Parlement. Il n'est donc pas en danger à court terme. Mais il va falloir inverser la tendance socio-économique. Sans quoi l'Egypte pourrait vivre un nouveau Printemps arabe", prédit Frédéric Encel.
*Frédéric Encel, Comprendre la géopolitique, Points.