La diplomatie américaine sur le fil du rasoir en Egypte

Obama n'est pas allé jusqu'à annoncer la suspension de l'aide militaire des Etats-Unis à l'Egypte, qui représente 1,3 milliard de dollars par an.
Obama n'est pas allé jusqu'à annoncer la suspension de l'aide militaire des Etats-Unis à l'Egypte, qui représente 1,3 milliard de dollars par an. © Reuters
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Charles Carrasco , modifié à
ANALYSE - Malgré une aide militaire conséquente, les Etats-Unis ont peu de moyens de pression et une position ambigüe.

L’INFO. La parole du président américain était très attendue. Au lendemain d’affrontements sanglants qui ont fait plus de 500 morts entre les forces de sécurité et les partisans du président Morsi en Egypte, le président américain a rompu le silence jeudi. Dans cette courte déclaration audio sur son lieu de vacances, Barack Obama a dénoncé la répression en Egypte, engagée selon lui "sur un chemin dangereux", et a annoncé l'annulation de manœuvres militaires conjointes avec le Caire le mois prochain.

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• Les "événements se font sans les Etats-Unis". Dans cette allocution, Barack Obama s’est contenté d’une condamnation de la violence. Mais pas davantage. Car la position américaine dans ce dossier est délicate. "Quand on entend qu’il condamne la violence en Egypte, ça veut dire pour Barack Obama : ‘je ne peux rien faire’. Il a bien souligné qu’en Egypte les soutiens comme les adversaires de Mohamed Morsi accusent l’Amérique de tirer toutes les ficelles, de manigancer tout ce qui se passe. Mais on voit bien que les événements égyptiens se font sans les Etats-Unis", a décrypté Nicole Bacharan, consultante d’Europe 1 sur les questions américaines. Cette rupture de l’opération militaire "Bright Star", qui se déroule tous les deux ans entre l'Egypte et les Etats-Unis depuis 1981 et rassemble plusieurs milliers d'hommes, est simplement un "avertissement", un "symbole fort". "Ces manœuvres communes datent du début des années 80 après l’accord de paix entre l’Egypte et Israël. Elles soulignent la confiance entre l’Egypte et les Etats-Unis et montrent que l’Egypte est un partenaire essentiel dans la stabilité et la paix de la région", assure Nicole Bacharan.

Les USA ne veulent pas soutenir la contre-révolution sanglante. Les Etats-Unis sont dans l’embarras depuis le Printemps arabe et le renversement de Hosni Moubarak en février 2011. L’Amérique a soutenu de facto le coup d’Etat mené contre Mohamed Morsi. Les Etats-Unis "avaient soutenu tard et de manière réticente le renversement d’Hosni Moubarak, avaient approuvé l’organisation d’élections mais avaient désapprouvé le mode de gouvernement de Morsi. Maintenant, ils ne veulent surtout pas avoir l’air de soutenir une contre-révolution sanglante perçue comme anti-religieuse dans le monde musulman", analyse Nicole Bacharan.

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Les USA pris en étau. Pour des experts, les Américains sont "pris en étau" depuis deux ans et demi entre les Frères musulmans du président destitué Morsi et les anti-islamistes "libéraux" emmenés par l’armée qui ont repris le pouvoir à la faveur du coup d’Etat. Officiellement, Washington assure ne pas vouloir prendre parti et n'a jamais parlé de "coup d'Etat". Barack Obama l’a d’ailleurs réaffirmé jeudi. Le locataire de la Maison-Blanche s'est toutefois gardé de couper les ponts avec l'armée égyptienne, évoquant les liens de longue date entre Washington et Le Caire et affirmant que c'était aux Egyptiens de déterminer leur propre avenir.

Allié pendant 30 ans du régime autoritaire et pro-occidental Moubarak, Washington est depuis 2011 face à un dilemme : comment soutenir les aspirations démocratiques d'une partie des Egyptiens tout en ménageant les autorités d'un de ses proches partenaires du monde arabe, lié de surcroît à leur plus grand allié, Israël, par un traité de paix. "Les Américains sont coincés entre les Frères musulmans et les anti-islamistes (...) et ont le sentiment de ne pas avoir d'alliés naturels", tant du côté des militaires que des islamistes, a expliqué Hussein Ibish, chercheur à l'American Task Force on Palestine, interrogé par l’Agence France Presse.

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Une aide militaire d’1,3 milliard par an. Sous l'ère Morsi déjà, Washington a marché sur des œufs. Les Etats-Unis voulaient travailler avec la "nouvelle Egypte" islamiste et plaidaient pour la démocratisation et le développement économique. John Kerry s'était rendu au Caire en mars pour y laisser un chèque de 250 millions de dollars d'assistance budgétaire. Le secrétaire d'Etat avait lui-même débloqué en mai le 1,3 milliard de dollars d'aide militaire annuelle, faisant de l'armée égyptienne la deuxième récipiendaire de l'assistance américaine, après Israël. C'est le "meilleur investissement que l'Amérique ait réalisé dans la région", avait-il lancé devant le Sénat. Barack Obama n’a d’ailleurs pas évoqué la suspension de l’aide militaire des Etats-Unis à l’Egypte. "La relation entre les Etats-Unis et l'Egypte remonte à des décennies. Elle est enracinée dans notre respect de l'Egypte en tant que pays, qu'ancien centre de civilisation, et de pierre angulaire de la paix au Moyen-Orient", a affirmé le président américain. Cependant, a-t-il ajouté, "j'ai demandé à mon équipe de sécurité nationale d'évaluer les implications des actes du gouvernement intérimaire, et les mesures supplémentaires que nous pourrions prendre", sans plus de précisions. Mais même cet unique moyen de pression "n’est plus aussi influent qu’autrefois", affirme Nicole Bacharan, la spécialiste des Etats-Unis, car "les pays du Golfe envoient déjà des milliards au gouvernement militaire égyptien".

Auparavant, tant le New York Times que le Washington Post avaient appelé Barack Obama à suspendre cette assistance. Le Post avait estimé dans un éditorial que son administration était "complice" de la répression. Les Etats-Unis ont refusé de parler de "coup d'Etat" après la destitution par l'armée de Mohamed  Morsi, élu démocratiquement à la suite de la chute de Moubarak. Une telle qualification aurait contraint à fermer le robinet de l'aide selon la loi américaine. Barack Obama s’est contenté d’estimer jeudi que le gouvernement du dirigeant déchu n'avait pas été "rassembleur" et n'avait pas "respecté l'opinion de tous les Egyptiens".