Le calme Japon va-t-il sortir de sa réserve ? Le Premier ministre de l'archipel Shinzo Abe a annoncé lundi de nouvelles mesures pour élargir le champ d’action des militaires nippons après la mort de deux journalistes japonais en Syrie. Les otages Haruna Yukawa et Kenji Goto ont été exécutés au mois de janvier par le groupe Etat islamique. Ces meurtres glaçants ont poussé l’archipel à remettre sur la table un principe de base de sa Constitution : le pacifisme.
Le Japon traumatisé par la guerre. "Aspirant sincèrement à une paix internationale fondée sur la justice et l'ordre, le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ou à la menace, ou à l'usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux", est-il ainsi inscrit dans l’article 9 de la loi fondamentale. Traumatisé à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, le Japon s'était doté de garde-fous importants qui l’empêchent drastiquement de s’engager dans des guerres à l’étranger. La seule mission des militaires japonais était donc de protéger l'archipel contre une attaque délibérée. D’ailleurs, le pays ne dispose pas de véritable armée. Ce sont les "Forces d’autodéfense" qui assument en quelque sorte ce rôle.
Malgré ce principe vieux de 70 ans, le pacifiste Japon s’autorise des incartades depuis une vingtaine d’années. En 1992, une nouvelle loi autorise pour la première fois la participation à des opérations de maintien de la paix, sans pour autant permettre aux militaires de combattre. En 1992 et 1993, l’archipel nippon a donc envoyé plusieurs centaines de formateurs et de militaires ingénieurs au Cambodge pour participer à la force de maintien de la paix de l’ONU, avant de s’impliquer au Népal, au Soudan, au Timor oriental, …
Des deniers pour la défense. L’actuel Premier ministre Shinzo Abe a poussé cette remise en question encore plus loin après son retour au pouvoir en 2012, parlant de "politique proactive" pour la paix et la sécurité. Il a donc augmenté pour la première fois depuis une dizaine d’années le budget pour la défense. Pour l’exercice 2013-14, la ligne du ministère de la Défense a profité d’une rallonge de 0,8%. Et une autre de 3% pour le budget 2014-15.
Ce renflouement des caisses est notamment une réponse aux tensions grandissantes autour des îles Senkaku que le Japon se dispute avec la Chine. Mais au-delà de ce conflit territorial, Shinzo Abe a des vues plus larges et voudrait aussi sécuriser lui-même ses importations en pétrole. Le Premier ministre envisagerait ainsi de s’impliquer militairement dans les opérations dans le détroit d’Ormuz, entre l’Iran et le sultanat d’Oman, par lequel transitent 80% des pétroliers à destination du Japon.
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200 millions de dollars d’aide humanitaire ou militaire ? Le Premier ministre conservateur a récemment confirmé sa volonté de revisiter l’antimilitarisme japonais. En juillet 2014, il lance une réinterprétation de la Constitution – sans la modifier directement. Désormais, les Forces d’autodéfense pourront s’engager militairement à l’étranger, dans le cas d’une attaque contre un allié du Japon. Cela à plusieurs conditions (détaillées par le Japan Times) qui peuvent susciter des interprétations divergentes, notamment sur la notion de "danger clair" pour le Japon. Shinzo Abe s’est aussi engagé dans d’importantes tournées pour rencontrer ses homologues étrangers.
Début 2015, en visite au Moyen-Orient, il a notamment promis 200 millions de dollars d’aide aux pays qui combattent l’organisation de l’Etat islamique. Avant de préciser qu’il s’agit "d’aide humanitaire". Cet argent a en tout cas été interprétée comme un soutien militaire par les djihadistes dans leurs demandes de rançon pour les otages Haruna Yukawa et Kenji Goto.
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Des manifestations à prévoir ? Les Japonais considèrent depuis longtemps que leur politique de non-intervention les protége des effets collatéraux des guerres. L’abandon du pacifisme fait resurgir le spectre des catastrophes de Hiroshima et Nagasaki. En juillet 2014, le changement de cap de Shinzo Abe avait d’ailleurs été accueilli à coups d’importantes manifestations dans les rues tokyoïtes.
Reste à voir si la population réagira aussi fermement aux annonces faites au lendemain de la mort des otages. "La situation autour du Japon est en train de changer. Les dépenses sont au niveau nécessaire pour protéger les espaces aérien, naval et terrestre du Japon et pour défendre nos citoyens et leurs biens", a plaidé dimanche le ministre de la Défense, Gen Nakatani. Shinzo Abe a dans la foulée proposé des mesures pour permettre des interventions militaires pour secourir des citoyens japonais en danger à l’extérieur des frontières japonaises. Il y a quelques semaines, une courte majorité de Japonais se disait toujours en faveur du maintien de l’article 9 de la Constitution.