La révolte syrienne à la loupe

Bachar El-Assad est au pouvoir depuis 2000 © Reuters
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Assiya Hamza , modifié à

ANALYSE - Décryptage avec Antoine Basbous, directeur de l'Observatoire des pays arabes.

La contestation gagne du terrain en Syrie. Ce mouvement inédit a commencé le 15 mars, à l'appel d'une page Facebook intitulée "La révolution syrienne contre Bachar al-Assad 2011" et réclamant "une Syrie sans tyrannie, sans loi d'urgence (depuis 1963) ni tribunaux d'exception". Depuis, la répression fait rage. La France a recommandé lundi à ses ressortissants voyageant en Syrie "d'éviter" les villes de Lattaquié, sur le littoral, et de Deraa, au sud du pays, où des violences se sont produites ces derniers jours.

Qui est Bachar-el-Assad ? Deuxième fils du président Hafez El-Assad, dont le règne sans partage à la tête de la Syrie a duré de 1971 à 2000, "Bachar El-Assad était destiné à devenir ophtalmologiste", explique Antoine Basbous. En 1994, après la mort du fils aîné Bassel, le jeune Bachar alors âgé de 29 ans est contraint de rentrer de Londres "pour récupérer l’héritage de son frère". Entre 1994 et 2000, Hafez prépare la succession de son fils "alors qu’il avait deux vice-présidents depuis une quinzaine d’années". Mais à la mort d’Hafez El-Assad, le 10 janvier 2000, les deux hommes sont écartés car "le pouvoir doit s’inscrire dans une dynastie".

Afin de permettre à Bachar El-Assad de se présenter à l’élection présidentielle, le parlement modifie en urgence la constitution. L’âge minimum requis pour la candidature est ramené de 40 ans à 34 ans. Candidat unique, il est élu à la tête de la Syrie par référendum le 10 juillet 2000.

Le 27 mai 2007, il entame second septennat. Avec 97,62% des suffrages exprimés, le scrutin tourne au plébiscite. Le président Bachar El-Assad bénéficie d'une "certaine popularité à titre individuel", écrit Peter Harling, directeur de projet à l’International Crisis Group dans une tribune publiée dans Le Monde. Tout comme son père, le raïs cultive une certaine forme de culte de la personnalité. Des portraits de lui fleurissent un peu partout en Syrie. Le 25 mars, les forces de l'ordre ont d'ailleurs ouvert le feu sur les manifestants de Deraa lorsqu'ils ont arraché un portrait du président et tenté de déboulonner la statue de son père.

Qu’est-ce que le parti Baas ?Créé en 1947 à Damas, le parti Baas signifie littéralement parti socialiste du Renouveau Arabe. "Ce parti unique contrôle le pouvoir depuis un coup d’Etat en 1963", précise Antoine Basbous. Avec "Unité, Liberté, Socialisme" comme principe fondateur, la formation s’est donné pour objectif d’unifier les pays arabes en une seule et grande nation. Mais "le parti Baas n’a pas respecté sa devise. Il est devenu un parti Etat, un parti totalitaire à l’image du RCD tunisien (parti du président déchu Ben Ali NDLR), un instrument au service de la minorité alaouite", analyse le politologue. "Le parti contrôle à son profit tous les rouages du pouvoir. Il est incontournable". Sans oublier la corruption. "Personne n’ose critiquer le parti Baas. Ses membres font ce qu’ils veulent, ils utilisent les moyens du pouvoir pour sa propre clientèle".

Quelle est la religion majoritaire ? La Syrie est majoritairement musulmane. Selon les chiffres du Sénat français, 74% des Syriens sont sunnites, 10 % alaouites (branche de l’islam chiite considérée comme hérétique), 3,5% chiites et 3,5% de la population est chrétienne.

La pouvoir politique est détenu par la minorité alaouite dont le président El-Assad fait partie. Son épouse, elle, est sunnite. "Les membres du parti baas représentent la mosaïque nationale", souligne le politologue. Toutes les communautés sont représentées mais "le commandement reste aux mains des alaouites".

Quelle est l’influence des islamistes ? Tout groupe ou mouvement apparenté à la doctrine islamiste n’a pas le droit de cité. Depuis 1980, les Frères musulmans sont passibles de la peine de mort. Leur influence aujourd’hui, elle reste difficile à mesurer "dans la mesure où il n’y a pas d’élection ou que les scrutins existants sont faussés", décrypte Antoine Basbous. "Les islamistes jouent sur la fibre de la minorité. Ils prétendent défendre la majorité sunnite, maltraitée par la minorité alaouite".

Quelles sont les relations avec le voisin israélien ? "Israël protège la minorité alaouite. Elle estime que si la majorité sunnite était au pouvoir, il lui serait moins facile de traiter avec elle", explique le directeur de l’Observatoire des pays arabes. "Le pouvoir affiche une posture anti-israélienne mais dans les faits pas une balle n’a été tirée sur le Golan depuis son occupation en 1967". Cette zone de 1.200 km² est occupée par les Israéliens depuis le 4 juin 1967.

"C’est un voisin calme qui ne dépasse pas la ligne rouge", poursuit-il. "Lorsque la Syrie a essayé de tricher, Israël a riposté. En septembre 2007, quand la Syrie a voulu construire une centrale nucléaire, elle a été immédiatement détruite". La seule chose qui nuit réellement aux relations des deux pays est le lien de Damas avec Téhéran "qui finance et fournit des armes au Hezbollah au Liban". "C’est un allié difficile et particulier qui a l’avantage de maintenir la paix sur le Golan et qui ne remue pas trop".

Quel est son rôle stratégique dans la région ? "La Syrie appartient au croissant chiite mis en place par l’Iran. Il s’étend de la mer Caspienne à la mer Méditerranée", analyse Antoine Basbous. "La Syrie en est une pièce maîtresse. Elle a une tutelle sur la Palestine, le Liban et intervient en Irak pour mettre en difficulté les Américains ".

Quelle est l’économie du pays ? Le salaire moyen est de l'ordre de 200 dollars mensuels. A titre de comparaison, au Liban il se situe autour de 400 dollars par mois. Officiellement, le chômage des moins de 30 ans se situe autour de 30%. Frappés par la sécheresse depuis plusieurs années, de nombreux syriens ont fui les campagnes pour gagner les grandes villes du pays.

Quelles sont les raisons de la révolte ? "Les Syriens aspirent à pouvoir choisir eux-mêmes leurs dirigeants. Ils ne veulent pas être condamnés à vivre sous le joug des Assad et de la répression". Quant à la suite des évènements, elle dépendra de l’ampleur de la révolte. "S’il n’y a qu’une ville qui se soulève, il est très facile de réprimer le mouvement à l’instar de l’épisode sanglant de Hama en 1982. 30.000 personnes sont mortes en cinq jours sous les bombardements du pouvoir"