La télé trèèèèès lente à la sauce norvégienne. Dans un monde qui nous impose des rythmes toujours plus rapides, la télévision publique norvégienne NRK propose à ses téléspectateurs de faire une petite pause. Le concept, baptisé "slow TV", est simple : diffuser des heures, voire des jours entiers d'images de paysages, de tricot ou de pêche. Et ça marche !
La "slow TV" bat des records d'audience en Norvège. Quelque 3,2 millions de téléspectateurs suivent ainsi ponctuellement en "prime time" le voyage au très long cours d'un paquebot le long des fjords ou un feu de bois qui crépite.
Une télé du réel née en 2009. "C'est de la télé-réalité au sens littéral du terme : quelque chose d'authentique, que l'on montre en temps réel et sans condensé", explique Rune Moeklebust, directeur d'unité de programme chez NRK. Mais comment lui est venue cette idée qui va à rebours des codes de la télévision actuelle ? Tout a commencé en 2009 à l'occasion du centenaire de la ligne ferroviaire qui relie Bergen et Oslo. Rune Moeklebust propose de retransmettre le périple à l'aide de caméras embarquées et d'images d'archives pour occuper l'antenne pendant les traversées de tunnel.
Un succès inespéré. Originale, facile à mettre en œuvre et bon marché, la proposition séduit la direction du groupe audiovisuel public. D'autant plus qu'affranchie des contraintes pesant sur les chaînes commerciales, elle peut se permettre ce genre d'expérimentation sur l'un de ses deux canaux nationaux. Le succès est inespéré. Quelque 1,2 million de personnes, près du quart de la population norvégienne, suivront au moins une partie du voyage de 7 heures et 16 minutes sur NRK2.
Même la reine est fan. "Quand j'ai demandé quelques jours plus tard si je pouvais emprunter les ondes pendant cinq jours et demi pour diffuser en direct depuis l'Express côtier, on m'a répondu oui, bien sûr", raconte Rune Moeklebust. Là encore, le succès est au rendez-vous. Près de 3,2 millions de téléspectateurs suivent ponctuellement la croisière. Des centaines de badauds se massent même dans les ports de relâche et, quand le paquebot croise le yacht royal, la reine Sonja en personne se poste sur le pont pour saluer les téléspectateurs.
"Une niche qui va à contre-courant". "Quand la plupart des chaînes optent pour les mêmes programmes formatés ayant recours aux mêmes ressorts, il est tentant de s'engouffrer dans une niche qui va à contre-courant", analyse Arve Hjelseth, sociologue à l'Université de Trondheim. "La slow TV, c'est pour les gens l'occasion de se poser, de se détendre, de méditer", ajoute-t-il. Pour toucher le plus grand nombre, la slow TV a su se diversifier. À côté des grands voyages depuis chez soi, NRK offre des émissions thématique, explorant la pêche au saumon, l'art du feu de bois ou encore le tricot sous toutes les facettes.
Des réfractaires malgré tout. "La slow TV attire toutes les catégories de population : les jeunes intrigués par le côté inédit et insolite de la chose et un public plus âgé que le thème proposé ou le voyage intéressent", se félicite Rune Moeklebust. Mais il reste des réfractaires à cette sorte de "télé-escargot". Comme Trond Blindheim, recteur de l'Ecole de management d'Oslo, pour qui c'est "affreusement ennuyeux".
Des projets dans les cartons. Peu importe pour NRK qui compte bien continuer à exploiter ce filon à succès. Le groupe audiovisuel public a de nombreux autres projets dans ses cartons. Et notamment un programme sur le temps en disséquant la fabrication d'une horloge puis en filmant le temps qui s'écoule. "Quand quelqu'un me dit qu'on ne peut pas montrer ça à la télévision, (...) je me dis qu'on tient quelque chose", s'amuse Rune Moeklebust. En Norvège peut-être, mais pas aux Etats-Unis où le périple de l'Express côtier a été réduit à un programme d'une heure. Et à quand la slow TV en France ? Rien de tel à l’horizon.