De vieux ordinateurs jetés contre le QG du principal parti politique, des smartphones brandis en protestation, des milliers de personnes dans la rue, en Hongrie. Une nouvelle "taxe Internet" a suscité la colère de manifestants à Budapest, dimanche. Parmi les 10.000 Hongrois venus protester contre cet impôt que le gouvernement de Viktor Orban veut mettre en place, quelques uns ont laissé éclater leur ras-le-bol en s’en prenant au bâtiment du Fidesz, le parti au pouvoir. Ils réclament le retrait dans les 48 heures de cette loi qui veut imposer à hauteur de 150 forints (soit 50 centimes d'euro) chaque gigaoctet consommé.
Comment cette taxe fonctionnera-t-elle ? Dans le projet de loi porté par le ministre de l’Economie Mihaly Varga, il est question de faire payer les fournisseurs d’accès à Internet. A chaque gigaoctet qui passe dans les tuyaux hongrois, les entreprises devront payer 0,50 euro. Cette mesure pourra être jugulée en fonction de l’impôt sur les sociétés, d’après Reuters. Selon Cisco, le leader mondial des réseaux, la consommation moyenne en Europe de l’Ouest sur ses installations est en 2013 de 18,2 gigaoctets par utilisateur et par mois. Les opposants à cette nouvelle loi prévoient une répercussion sur la facture des consommateurs.
Après la manifestation de dimanche, le Fidesz (droite) a promis de soumettre un amendement pour introduire un plafond et limiter la taxe à 700 forints par mois, soit 2,26 euros. Selon le Financial Times, la Hongrie deviendrait alors le premier pays au monde à taxer la consommation de données sur Internet.
Pourquoi le gouvernement veut cet impôt ? Le ministre de l’Economie a plaidé pour la mise en place de cette taxe pour combler les trous du budget 2015 dans un des pays les plus endettés de l’Union européenne. Selon Péter Banai, secrétaire d’Etat hongrois chargé du budget interrogé par le Financial Times, la mesure pourrait rapporter 20 milliards de forints à l’Etat, soit un peu plus de 65 millions d’euros. Magyar Telekom donne un autre chiffre. Le plus gros opérateur du pays envisage un coût de 100 milliards de forints (330 millions d’euros) pour le secteur.
En parallèle, Mihaly Varga, le ministre en charge du dossier, a déclaré que cette mesure n’était qu’un prolongement logique de la taxation sur les appels téléphoniques et les textos, lancée en 2011. En Hongrie, à l’heure actuelle, l’Etat récupère 2 forints/min (0,01 euro), avec un plafond de 700 forints/mois (2,26 euros) pour les particuliers et 2.500 forints/mois (8,15 euros) pour les entreprises.
Quelles réactions ? La manifestation de dimanche à Budapest s’est déroulée à l’appel d’une page Facebook, qui a récolté en quelques jours près de 210.000 "J’aime" sur le réseau social. Rassemblée devant le ministère de l’Economie, la foule a brandi des pancartes avec le slogan : "Wifi libre, internet libre ! Hongrie libre !". Les organisateurs craignent un surcoût de l’accès à Internet et des effets négatifs sur les petits entrepreneurs et l’accès à l’information et l’éducation dans les régions les plus pauvres.
Neelie Kroes, la commissaire européenne responsable des nouvelles technologies, a commenté ce projet de la Hongrie. Elle a fustigé une "idée rétrograde, quand la majorité des pays s’efforcent de faciliter l’accès de la population à Internet". Selon la haut fonctionnaire européenne, la Hongrie se trouve déjà sous la moyenne européenne pour son usage d’Internet, son accès haut-débit et sa régulation numérique. La nouvelle législation empirera cette situation, estime-t-elle.
Magyar Telekom juge pour sa part que le surcoût engendré par cette taxe pourrait empêcher les opérateurs de développer le haut-débit dans le pays.
Restrictions des libertés individuelles, impôts jugés populistes, mesures allant à l'encontre du libre marché européen. Depuis 2010, la politique du Premier ministre Viktor Orban est régulièrement sous le feu des critiques des chancelleries européennes. Cette nouvelle taxe ne fait pas exception.
Un malaise plus profond. Margit Zabolaï, journaliste à Budapest interrogée par Europe 1, explique que les manifestations "répondent à un mécontentement plus profond de la population". "C'était la goutte qui a fait déborder le vase", poursuit-elle. En effet, la directrice de l'office chargée de mettre en place cette taxe internet a quitté la Hongrie pour les Etats-Unis il y a quelques jours. Elle est soupçonnée de corruption, "ce qui pourrait déclencher des sanctions de la part de l'UE, ce que craignent les manifestants hongrois" analyse Margit Zabolaï. En réponse, le porte-parole du gouvernement a répondu qu'il "fallait penser à sortir prudemment et lentement" de l'UE. C'est donc aussi l'euroscepticisme du premier ministre Viktor Orban et de son parti le Fidesz qui sont remis en cause. Si le projet n'est pas abandonné, une nouvelle journée de manifestations est prévue pour mardi.