L'UE TREPIGNE. Rarement une décision en Suisse n'aura fait autant réagir à Paris, à Berlin et surtout à Bruxelles . A la surprise générale, les citoyens helvètes se sont prononcés le week-end dernier pour une limitation de "l'immigration massive", un "vote inquiétant", selon le ministre français de l'Intérieur. Angela Merkel, elle, craint des "problèmes considérables". Quant au président du Parlement européenn, Martin Schulz, il a déclaré "devoir réagir, discuter et peut-être renégocier des accords". La Suisse ne fait pourtant pas partie de l'Union européenne. Pourquoi alors s'agite-t-on dans les capitales européennes?
La clause "guillotine". L'Union européenne n'est pas un club de 28 pays fermés qui se contentent de discuter entre eux. Au Parlement européen, des délégations sont chargées de mener des négociations pour nouer des relations privilégiées avec des grandes puissances, comme les Etats-Unis, et les voisins européens, comme la Suisse.
Depuis 1956, pas moins de 135 textes lient ainsi l'UE à son voisin helvète. Parmi cette centaine d'accords, la votation de dimanche met en danger le pack de sept textes signés en 1999. A l'époque, il avait été défini que si l'un de ces sept accords tombait, il entraînait les six autres dans sa chute. C'est ce qui avait alors été appelé la clause "guillotine". Or, le texte le plus important concerne la libre circulation des personnes, qui est précisément en jeu dans la limitation de l'immigration.
Des pelotons d'immigrés. L'enjeu est de taille. Un million d'Européens vivent ou travaillent en Suisse. Les citoyens de l'Union représentent 66% de tous les étrangers qui habitent dans la Confédération. En 2012, 107.000 Français avaient posé leurs valises chez notre voisin, représentant ainsi la quatrième population d'immigrés. Les Suisses aussi s'installent hors de leurs frontières. Ils étaient près de 450.000 en Union européenne en 2012.
La fin de l'accord de 1999 sur la liberté de circulation compliquerait notamment la vie des 90.000 frontaliers qui travaillent dans la région du Lac Léman, à la frontière française. Or, selon Jean-François Besson, secrétaire générale du groupement transfrontalier européen, ils représentent "une main-d'œuvre d'ajustement". Il souligne dans Le Figaro que "c'est une force de l'économie du pays".
Mais au-delà du sort des Européens installés dans les vaux suisses, ce que craint particulièrement l'Union européenne, comme le gouvernement helvète -qui s'était prononcé contre cette votation-, c'est de voir les relations commerciales se compliquer.
Gruyère et Appenzeller. Car les six autres accords mis en danger par la votation facilitent la coopération technologique et scientifique, mais aussi le transport terrestre et aérien, les marchés publics, ou encore le commerce des produits agricoles, les fromages et le vin en première ligne. Or, les trois branches qui rapportent le plus au commerce extérieur suisse sont l'horlogerie, la pharmacie/chimie … et les denrées alimentaires.
Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères, précisait que la Suisse fait "60% de son commerce extérieur avec l'Union européenne", près de 120 milliards de francs suisses (environ 100 milliards d'euros). Paris met donc la pression à Bern, mais l'inquiétude est partagée. Parmi les dix premiers partenaires commerciaux de la France, on trouve … la Suisse. Face au manque à gagner en jeu, Bern devra se creuser les méninges pour prendre en compte la volonté de ses citoyens tout en préservant ses exportations. Le gouvernement a encore trois ans pour trouver la solution miracle.