L'INFO. Ils veulent tous une autre politique pour l'Europe. Après deux jours de grève générale cette semaine, le Portugal va vivre, samedi 1er juin, une nouvelle journée de contestation. Une manifestation internationale contre la Troïka (Fonds monétaire internationale, Union européenne, Banque centrale européenne) est organisée samedi conjointement avec la Grèce, l'Espagne et la France. Derrière cette vive contestation au Portugal, un collectif au nom sans détour : "Que se lixe a Troïka" ("Que la troïka aille se faire voir").
Qui sont-ils ? Ils se sont faits connaître le 2 mars dernier où 800.000 personnes sont descendues dans la rue à Lisbonne. Samedi dernier, ils étaient encore plusieurs milliers à battre le pavé dans les rues de Lisbonne. "Que se Lixe a Troika" (QSLT) n'est ni un mouvement, ni une plate-forme représentative, ni un parti, ni un syndicat. Tout au plus un collectif qui regroupe des populations variées mais unies par la précarité : artistes, intellectuels, travailleurs précaires.
Leur leitmotiv politique est clair : changer la politique de leur pays. Selon eux, cela passe par la fin de l'aide internationale du Fonds monétaire internationale (FMI), de la Banque centrale européenne (BCE) et de l'Union européenne (UE). Et ce changement devait se faire sans le gouvernement conservateur du Premier ministre Pedro Passos Coelho, à l'initiative de cette politique d'austérité. Bruno Cabra, 23 ans, réalisateur de télévision free-lance, est membre de ce collectif. "Je ne conçois pas la politique comme le fait d'aller voter toutes les X années et ensuite laisser nos vies entre les mains des hommes politiques", a-t-il expliqué dans le journal Le Monde. Ces politiques d'austérité "ne font qu'appauvrir la population. Que se lixe a troika tend, d'une certaine manière, à se substituer aux syndicats, à la manière de protester des syndicats", a-t-il affirmé.
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Quelle idéologie ? Leur mouvement est idéologiquement clairement de gauche. "Certains des 120 membres du collectif appartiennent à des partis politiques, d’autres sont syndiqués, il y a des tendances libertaires et des membres qui ne représentent qu’eux-mêmes. Nous ne l’avons jamais caché", affirme dans La Tribune de Genève, Nuno de Almeida, journaliste et engagé dans ce mouvement. Tous ces militants, qui se définissent eux-mêmes comme des "activistes low cost" car autofinancés, ne se reconnaissent pas dans l'opposition du parti socialiste portugais.
Pourquoi manifestent-ils ? Leur mécontentement est à chercher du côté de l'austérité qui frappe de plein fouet le Portugal. Le pays est depuis deux ans sous assistance via un plan de sauvetage de 78 milliards d'euros en échange d'un draconien programme de rigueur et de réformes. Selon les prévisions officielles, l'économie doit reculer cette année de 2,3% et le chômage atteindre le taux record de 18,2%.
Voyant le mécontentement monter, le gouvernement tente désormais d'avancer des propositions en faveur de la croissance et de l'emploi. Mais, avec une dette qui dépasse 120% du PIB, le pays reste confronté à de sérieuses difficultés pour respecter ses objectifs budgétaires. Bruxelles a confirmé mardi les objectifs établis avec la "troïka" et selon lesquels le Portugal doit ramener le déficit public à 5,5% du PIB, puis à 4% l'année prochaine et 2,5% en 2015, sous de la limite des 3% fixée par la Commission européenne. Mais là encore, il semble que ces chiffres seront difficiles à atteindre. Si le gouvernement continue d'affirmer que les objectifs sont à sa portée, le Premier ministre, Pedro Passos Coelho n'en a pas moins récemment admis qu'il pourrait solliciter la troïka pour un nouvel allégement.
En attendant une embellie, la situation des Portugais est de plus en plus critique : une réduction globale de 10 à 30% des salaires, une récession, un chômage autour de 17% et une partie de la jeunesse qui choisit l'immigration… ou la précarité.
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Comment manifestent-ils ? Fort de ce mécontentement, les militants de "Que se lixe a Troïka" garnissent de plus en plus les cortèges chaque week-end. Avec comme symbole une chanson qu'ils reprennent en chœur : Grandôla, Vila Morena ("Grandôla, bourgade brune"), l’hymne de la révolution des œillets qui marqua, de façon pacifique, la fin d’un demi-siècle de dictature d'Antonio Salazar en 1974. Lors d'une session de l'Assemblée, le 15 février dernier, alors que le Premier ministre se lance dans un exposé des mesures d'austérité, cet air connu est entonné à pleins poumons par des militants, raconte Libération. La présidente de l’Assemblée n'a pas caché sa colère : "vous ne pouvez pas vous manifester de cette façon-là !" "On ne saurait être interrompu d’une meilleure façon", a affirmé de son côté, le Premier ministre.
Cette chanson est très populaire, pas que pour par la référence à la révolution, mais aussi pour "le droit de grève, les premières conquêtes sociales, le salaire minimum, les retraites pour tous, les 22 jours de congés payés", affirme Filipe Luis, rédacteur en chef de l’hebdo Visão, interrogé par Libération.
Ce mouvement n'hésite pas non plus à utiliser la dérision pour faire passer ses idées. Lors de la présentation du livre Huit siècles de folie financière, le 18 mai dernier, écrit par le ministre des Finances, Vitor Gaspar, plusieurs dizaines de personnes ont interrompu la conférence en s'esclaffant, rapporte le journal portugais Publico, avant de crier : "Démission ! Démission !".