On les appelle les "trois d’Angola", du nom du pire pénitencier des Etats-Unis. Eux, ce sont trois hommes noirs, militants des Black Panthers, emprisonnés il y a quarante ans dans cette prison de Louisiane au sombre passé. La plantation sur laquelle elle a été construite employait des esclaves essentiellement originaires d’Angola.
C’est en 1972 que les destins de Herman Wallace, Albert Woodfox et Robert King se sont croisés. Les deux premiers, condamnés pour vol à main armée, sont déjà à Angola depuis six mois lorsque Robert King y est transféré, accusé du meurtre de son co-détenu.
Violés pendant des années par les gardiens
"Là-bas, on a découvert l’enfer", raconte aujourd’hui Robert King, libéré en 2001. A moitié financé par l’état, l’autre par les revenus issus du travail des détenus, l’établissement n’a pas les moyens d’employer de vrais gardiens. Ce sont donc les détenus blancs, exclusivement, qui sont chargés de surveiller leurs co-détetenus. Aucune règle, aucune limite ne leur sont imposées.
Les détenus fraîchement arrivés sont désignés pour servir "‘d’épouses’ aux gardiens, c’est comme ça que sont appelés ceux qui sont abusés sexuellement, en prison", décrit l’ancien Black Panther, rencontré mardi à Paris. Ce septuagénaire à la voix rauque teintée de cet accent traînant caractéristique des gens du sud des Etats-Unis explique comment il a fait acte de résistance.
Militant de la cause noire, d’à peine vingt-deux, Robert décide d’agir. Le jeune détenu organise des "réunions" pour apprendre aux nouveaux à se défendre.
C’est là que tout bascule.
"Rapidement, j’ai été placé à l’isolement - c’est-à-dire dans le quartier Supermax de la prison - parce que mon activité empêchait les gardiens de faire ce qu’ils voulaient", se remémore-t-il. Albert et Herman ont subi le même sort, quelques semaines auparavant, accusés du meurtre d’un gardien de la prison. Aucune preuve ne sera jamais trouvée contre eux. Et les deux hommes sont condamnés à perpétuité.
Robert passera 29 ans à l’isolement. Albert et Herman y sont toujours.
Ils envient le couloir de la mort
Entre 1972 et 2013, rien n’a changé pour les détenus en isolement. "Les trois d’Angola" passent vingt-trois heures par jour dans leur cellule minuscule de deux mètres sur trois, sans toilettes et n’ont droit qu’à une douche de 10 minutes, trois fois par semaine. Aucun contact avec les autres prisonniers n’est autorisé, aucune activité de groupe. Ceux qui ne sont pas à l’isolement, eux, sont forcés de travailler dix-sept heures par jour.
La solitude des trois hommes est telle que certains jours, ils en viennent à "envier le quotidien de ceux qui sont dans le couloir de la mort", avoue Robert King. Car, eux, ont le droit de faire du sport et de passer des coups de téléphone. Ce n’est qu’au bout de sept ans, au début des années quatre-vingt que Robert, Albert et Herman seront enfin autorisés à pratiquer une activité physique, une heure dans la semaine.
En 2001, Robert King est finalement libéré après qu’un juge fédéral le déclare "probablement innocent". Ses deux compagnon d’infortune n’ont toujours pas eu droit à un vrai procès et sont toujours à l’isolement. Leurs condamnations ont été annulées par une cour fédérale à plusieurs reprises, mais l’Etat de Louisiane a toujours fait appel. Un acharnement incompréhensible pour les "trois d’Angola", et les associations, dont Amnesty International, qui les soutiennent.
Depuis sa sortie de prison, Robert a fait de sa vie un combat pour la libération de Herman et Albert. En plus de dix ans, l’ancien Black Panther s’est rendu dans plus de vingt-cinq pays pour raconter l’histoire des "trois d’Angola". Une histoire tragique qui fait écho au sort des 80.000 détenus à l’isolement, aujourd’hui, aux Etats-Unis. "Notre cas n’est malheureusement qu’une toute petite partie de l’iceberg", conclut celui dont les trente-et-un ans de prison n’auront pas eu raison de son esprit militant.