Barbe poivre et sel, en costume et chemise à col ouvert, Souleymane Abou Ghaith, 48 ans, a pendant plusieurs heures répondu aux questions de la défense. Puis il a répondu à celles des procureurs, racontant sa soirée du 11-Septembre avec le chef d'Al-Qaïda. Aucun responsable d'Al-Qaïda de son calibre n'avait jamais témoigné à New York, et la salle d'audience mercredi était pleine à craquer.
Souleymane Abou Ghaith est inculpé de complot visant à tuer des Américains, complot visant à apporter un soutien à des terroristes et soutien matériel à des terroristes. Il a plaidé non coupable et risque la réclusion à perpétuité. Marié en secondes noces à l'une des filles de Ben Laden, Fatima, il a, selon l'accusation, travaillé pour Al-Qaïda jusqu'en 2002, année où il s'est installé en Iran. Le procès continue jeudi.
Un voyage dans le temps et dans les grottes de Ben Laden. S'exprimant en arabe, traduit en anglais par un interprète, détendu mais précis, il raconté qu'il s'était rendu en Afghanistan en juin 2001, car il voulait "connaître le nouveau gouvernement islamique". Il voulait aussi "enseigner et prêcher". Il a reconnu avoir enregistré dans les mois suivants plusieurs vidéos à la demande de Ben Laden, qui l'avait convoqué après avoir appris qu'il était un imam koweïtien. Dans l'une de ces vidéos, il affirmait que "la tempête ne s'arrêtera(it) pas, spécialement la tempête des avions".
Souleymane Abou Ghaith entraîne alors des jurés médusés dans les grottes de Ben Laden le soir du 11-Septembre, dans les montagnes d'Afghanistan, où le chef d'Al-Qaïda lui affirme à propos des attentats : "C'est nous qui l'avons fait".
"Vous êtes trop pessimiste". Ben Laden lui demande alors son avis, et Souleymane Abou Ghaith, assis près de lui avec également le numéro 2 de l'organisation, Ayman al-Zawahiri, lui aurait répondu que les Etats-Unis ne s'arrêteraient pas avant de l'avoir tué et d'avoir renversé le régime taliban. "Vous êtes trop pessimiste", lui aurait répondu Ben Laden, tué début mai 2011 au Pakistan par des unités spéciales américaines.
Après l’attentat, la fuite. Abou Ghaith restera, selon son témoignage, deux semaines dans les montagnes afghanes. Finalement autorisé à en partir par le chef d'Al-Qaïda, il passera alors au Pakistan, puis en Iran, a-t-il raconté.
Déchu de sa nationalité koweïtienne après les attentats du 11-Septembre, il a également affirmé qu'il n'avait jamais cherché à tuer des Américains, et pas davantage voulu recruter pour Al-Qaïda, comme l'affirment les procureurs. "Mon intention n'était pas de recruter qui que ce soit", a-t-il dit. "Je voulais délivrer un message dans lequel je croyais", a-t-il déclaré, en dénonçant l'"oppression" des musulmans et expliquant qu'il pensait qu'ils devaient se défendre.
"Je ne parlais pas pour Al-Qaïda". L'accusé a par ailleurs expliqué qu'il avait construit ses discours filmés à partir de "citations et points" établis par Ben Laden. Mais il a rejeté l'idée d'avoir été le porte-parole d'Al-Qaïda. "Je ne parlais pas pour Al-Qaïda. J'ai livré mes convictions via Al-Qaïda car c'était la seule façon", a-t-il voulu nuancer.
Il a par ailleurs affirmé qu'il n'avait jamais rencontré Richard Reid, un Britannique qui avait tenté de faire exploser un vol Paris-Miami en décembre 2001 avec des chaussures piégées, trois mois après le 11-Septembre. L'accusé a expliqué avoir entendu parler du complot après les faits, "par la presse", alors qu'il se trouvait en Iran.
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