Les Vingt-Huit ont dévoilé leur plan pour limiter l'hécatombe de migrants en Méditerranée. Les ONG et les politiques sont déçus.
Rares sont les décisions qui déçoivent autant. Le sommet extraordinaire de l'Union européenne après la mort de plus d'un millier de migrants ces derniers jours a accouché d'un plan qui ne convient à presque personne.
A l'issue de la réunion qui s'est tenue à Bruxelles jeudi, les Vingt-Huit ont annoncé tripler le budget de l'opération Triton, chargée de la surveillance des frontières maritimes de l'Italie . En revanche, aucun accord n'a été trouvé pour élargir la mission et permettre à ses navires de sortir des eaux territoriales européennes pour aller au plus près de la Libye . Les Vingt-Huit se sont aussi divisés sur les modalités de la prise en charge des réfugiés, en renvoyant les décisions à plus tard.
Des voix européennes s'élèvent. Au sein même de l'appareil européen, la déception s'est fait ressentir. Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, "aurait aimé plus d'ambition" a déclaré celui qui voudrait porter au moins 10.000 places d'accueil pour les migrants syriens en Europe. Plusieurs groupes politiques minoritaires au Parlement européen ont aussi fait part de leur agacement. Les conclusions provisoires du sommet "sont encore moins ambitieuses que les dix points qui ont été présentés lundi. Le manque d'engagement est épouvantable", a affirmé Guy Verhofstadt, le président des libéraux.
"C'est insensé!", a réagi la co-présidente des Verts à la volonté européenne d'obtenir un mandat de l'ONU pour détruire les bateaux des passeurs en Libye. "Une mission de défense et de sécurité commune signifie une militarisation de la stratégie de l'Union européenne contre les réfugiés", s'est indignée Rebecca Harms.
"Lamentable", "une goutte d'eau". Quant aux ONG, elles ne sont pas plus tendres avec les décisions des Vingt-Huit. Amnesty International condamne "un plan d'une insuffisance lamentable". "Les propositions sur la table mettent la manipulation avant les vies", a estimé Gauri van Gulik, la directrice adjointe pour l'Europe et l'Asie. La concentration de l'action sur les bateaux des passeurs soulève des doutes chez le réseau d'ONG Migreurop. "Cela ne règlera pas le problème parce que les principaux responsables se situent plutôt en amont, au niveau des filières", assure Olivier Clochard, son président, qui parle de "pis-aller" et déplore l'absence d'un "véritable dispositif d'accueil". "C'est vraiment une goutte d'eau au vu des déplacements de personnes" dans la région, estime-t-il.
Y a-t-il un heureux ? Il y a bien un satisfait. L'agence européenne Frontex, qui s'est logiquement réjouie de voir ses budgets multipliés par trois pour son opération Triton. A l'heure actuelle, la surveillance des côtes italiennes coûte trois millions d'euros par mois. "Ces moyens contribueront à l'extension importante de nos opérations dans la Méditerranée. Nous allons intensifier nos efforts pour prévenir de futures tragédies", a déclaré le directeur exécutif de Frontex, Fabrice Leggeri
Même Matteo Renzi, le président italien du Conseil qui réclamait cette réunion depuis des mois, a eu du mal à dissimuler sa déception. "Beaucoup se sont dits prêts à aider, mais personne ne peut obliger un Etat à le faire", a reconnu Matteo Renzi. "Nous verrons dans les prochaines semaines et dans les prochains mois si nous sommes capables de passer des paroles aux actes", a-t-il conclu, remettant encore à plus tard la prise en charge de cette urgence humanitaire.
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