L’INFO. Une chose est sûre : d’ici fin mai, Hamid Karzaï, en poste depuis treize ans, ne sera plus le président de l’Afghanistan. La constitution afghane ne lui permet en effet pas de se représenter à l’élection présidentielle dont le premier tour a débuté samedi. Ce scrutin a valeur de test dans un pays encore miné par la violence, et les talibans l’ont bien compris. Eux qui ont promis de "perturber" le vote par tous les moyens multiplient les attaques, comme celle qui a visé mercredi le ministère de l’Intérieur à Kaboul, faisant au moins six morts. Mais il en faut plus pour dissuader Iqbal Gharji, "presque 28 ans" et traducteur dans la capitale afghane, d’aller voter.
"La responsabilité" de chacun. Pour le jeune homme, "il en va de la responsabilité de chaque individu d’aller voter et de choisir le meilleur candidat". Samedi, les Afghans auront le choix entre huit candidats, dont trois font figure de favoris : Abdullah Abdullah, l’ancien porte-parole de Massoud, candidat malheureux à la présidentielle de 2009, Zalmai Rassoul, proche du président Hamid Karzaï, et Ashraf Ghani, un ancien cadre de la Banque mondiale. Secret, Iqbal préfère ne pas dévoiler pour qui il votera samedi. Mais lâche tout de même à Europe1.fr qu’il votera "pour un candidat anti-taliban".
Une campagne moderne... Le jeune homme assure que l’élection fait l'objet de nombreuses discussions avec ses amis. Un peu moins avec sa famille, restée dans la province de Ghazni, au sud-ouest de la capitale, qu’il voit plus rarement. Iqbal a suivi la campagne avec attention. Affiches placardées dans les rues, meetings et débats télévisés entre les candidats : l’avant-scrutin ressemble à n’importe quelle campagne. A ceci près que les candidats, surtout quand ils quittent Kaboul, sont entourés d’un impressionnant cordon de sécurité. Le thème est évidemment au cœur de la campagne. Autre enjeu : "l’ethnicité", qui joue "un rôle important dans l’élection". Pour séduire un électorat issu d’ethnies très diverses, les candidats ont en effet pris soin de sélectionner des colistiers issus de groupes ethniques différents.
... qui s'est aussi jouée sur le web. Cette année, c’est nouveau, la campagne s’est aussi jouée sur le Web. "Chaque candidat a sa page Facebook, un compte Twitter", observe Iqbal. Lui relaie sur les réseaux sociaux des messages appelant les Afghans à se rendre aux urnes samedi.
Yes, I vote in fift april #Afghanistan#Electionpic.twitter.com/WTkBNez3Wh— Iqbal Gharji (@IqbalGharji) April 2, 2014
Pour intéresser les jeunes, cible cruciale dans un pays où 70% de la population a moins de 25 ans, les autorités ont même lancé un concours de rap électoral.
Le jour du vote. Si la campagne présidentielle afghane peut ressembler par certains aspects à ce que connaissent les pays occidentaux, le jour du scrutin, en revanche, demeure bien différent. Placés sous bonne garde, les bureaux de vote ne sont pas mixtes et les femmes votent dans un endroit séparé, raconte Iqbal. Quant aux bulletins de vote, ils n’ont rien à voir avec les nôtres : afin de permettre aux Afghans illettrés de pouvoir s’exprimer, ils affichent aussi, en face des noms et des photos de chaque candidat… un petit symbole choisi avec soin après proposition de la commission électorale. Zalmai Rassoul, considéré comme le dauphin de Hamid Karzaï, a ainsi choisi une radio pour le représenter, afin de montrer "que nous croyons dans la démocratie, la liberté de la presse et les médias". Un autre candidat, Gul Agha Shirzai, qui se voit comme "le champion de la construction en Afghanistan", a quant à lui choisi un bulldozer.
#Afghanistan : crayon, radio, bulldozer, Coran... les symboles choisis par les dix candidats à la présidentielle pic.twitter.com/5uVB50sRvc— Edouard Guihaire (@EdouardGuihaire) October 22, 2013
"Peur d’aller voter". Tout cela suffira-t-il à mobiliser les électeurs ? Iqbal y croit et prévoit un taux de participation supérieur à celui de 2009, quand seuls 30% des électeurs avaient fait le déplacement. Dans son quartier à Kaboul, "les gens sont enthousiastes à l’idée de pratiquer la démocratie". "Malgré le degré élevé d’alerte, je suis enthousiaste à l’idée d’aller dans mon bureau de vote le jour de l’élection", soutient le jeune traducteur, tout en reconnaissant qu’ailleurs, "en particulier dans les provinces où il y a beaucoup de talibans", les habitants "ont peur d’aller voter". D’importants dispositifs de sécurité ont été annoncés mais le risque demeure bien réel.
Le souvenir de la fraude de 2009. Dans son entourage, Iqbal côtoie des jeunes qui, bien qu’éduqués et diplômés, n’ont pas voulu s’inscrire sur les listes électorales. Et ce n’est pas seulement par crainte des talibans : "tout le monde a peur de la fraude, des ‘électeurs fantômes’, qui votent sans avoir les papiers…". En 2009, la réélection de Hamid Karzaï avait été entachée par une très faible participation et des fraudes massives "qui ne font de doute pour personne". Les cartes d’électeurs sont faciles à falsifier, mais cette année, les électeurs devraient aussi avoir à présenter une pièce d’identité pour pouvoir voter, assure Iqbal, dont l’optimisme rafraîchissant va être soumis à rude épreuve après le scrutin : il faudra peut-être compter des semaines pour que soit connu le nom du vainqueur du premier tour, et des mois pour que l’on sache qui est le nouveau président en cas de second tour.
ATTAQUE - Les talibans font pression sur l'élection afghane
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