Ils sont en larmes, frappent le sol de leurs poings, semblent désespérés d’avoir perdu leur dirigeant. Les images de la télévision d’Etat montrant le chagrin des Nord-Coréens après la mort de Kim Jong-Il, décédé samedi, sont édifiantes pour un œil occidental, "pour ne pas dire ridicules", juge Pierre Rigoulot, spécialiste des régimes communistes, auteur notamment de Corée du Nord, Etat voyou.
Certaines démonstrations de chagrin peuvent en effet susciter l’incompréhension, comme celle de ces femmes agrippées à l’escalator sur lequel a été prise la dernière photo de Kim Jong-Il. Mais attention : à côté de cet aspect "loufoque et grotesque", "il y a autre chose", a expliqué Pierre Rigoulot à Europe1.fr. Derrière cette affliction impressionnante qui semblent surjouée, "il y a une réelle sincérité".
Elles pleurent sur le dernier escalator emprunté par Kim Jong-Il :
La "puissance du collectif"
Les Nord-Coréens "sont dans quelque chose qu’ils ressentent personnellement". Mais l’émulation joue aussi un rôle dans ce pays qui glorifie la "puissance du collectif". "Quand on est dans une foule qui pleure, on est poussé à également manifester sa douleur", affirme Pierre Rigoulot.
Démonstrations de chagrin à Pyongyang :
Mais s’il y a une part de sincérité dans ces scènes qui rappellent celles qui ont suivi la mort de Mao ou de Staline, le chagrin des Nord-Coréens tient aussi à la nature même du régime. Car la Corée du Nord a "presque réussi à atteindre l’état totalitaire", note l’historien. Or, "si on ne manifeste pas sa douleur, c’est comme si on ne manifestait pas d’intérêt" pour le régime. Ce qui peut s’avérer risqué dans un pays qui compte encore une dizaine de camps de concentration ainsi que d’autres camps, plus petits, dans chaque canton.
Ils doivent montrer "qu'ils sont dans la ligne"
Dans ce type de régime, les citoyens ont "intérêt à montrer qu’ils sont dans la ligne". Et "on vous demande non seulement d’être soumis, mais de montrer de l’enthousiasme pour cette soumission". Au final, ces images montrent la nature du régime nord-coréen. "C’est une sorte de musée", note Pierre Rigoulot, pour qui la Corée du Nord n’est rien de moins qu’"une façon de voir l’Union soviétique sous Staline dans les années 30".