Émeutes, dictature, nouveau gouvernement… le Premier ministre tunisien est revenu pour Europe 1 sur les enjeux auxquels le pays est désormais confronté. Quelques jours après le départ précipité du président Ben Ali, Mohammed Ghannouchi a estimé que le pays vivait "une mutation historique". Selon lui, la Tunisie "est en train de passer un autre cap, qui ouvre d’importantes perspectives à notre population, à notre jeunesse ". Beaucoup de jeunes se sont retrouvés dans la rue ces dernières semaines pour protester contre le parti de Ben Ali, au pouvoir depuis 23 ans.
Et les manifestations ont été sanglantes. Au moins 78 personnes sont mortes lors des émeutes. "L’armée n’a pas tiré. C’est certain, parce que l’état d’urgence a été décrété quelques heures avant le départ précipité du président", a assuré Ghannouchi. "Dès que j’ai assumé ma responsabilité, ma première instruction aux forces de sécurité a été de ne tirer en aucune façon sur la population. On peut utiliser les bombes lacrymogènes, les balles caoutchouc. Mais il vaut mieux laisser notre peau que de faire un carnage", s’est-il défendu. Et de promettre que "tous ceux qui ont été à l’origine de ce massacre, de ce carnage, rendront à la justice".
"Les ministres ont les mains propres"
Quant à la formation du nouveau gouvernement, Mohammed Ghannouchi assure avoir "essayé de faire un dosage qui prend en compte les différentes forces dans le pays". Six ministres issus de l’ancien régime de Ben Ali ont été reconduits : "Tous les ministres qui sont restés ont les mains propres et une grande compétence", s’est défendu Mohammed Ghannouchi. "Grâce à leur dévouement, ils ont réussi à réduire la capacité de nuisance de certains milieux. Ils ont manœuvré, tergiversé, essayé de gagner du temps pour préserver l’intérêt national".
Interrogé pour savoir si la dictature continuait, le Premier ministre s'est montré agacé : "Ça n’est pas du tout juste ! Aujourd’hui, il y a une ère de liberté qui se manifeste dans la télé, dans la rue. Un nouvel esprit qui se dégage, totalement différent de celui qui prévalait par le passé". Ainsi, il promet de développer les libertés (la presse, internet…) : "Je le ferai, je m’y engage. Pour nous, c’est un choix essentiel".
"Des corruptions, du despotisme"
Aussi, le Premier ministre est revenu sur ses derniers mots à Ben Ali, quelques minutes avant son départ : "Je lui ai dit que la situation était explosive, grave. Et que cette situation était dictée par des corruptions, du despotisme, de l’enrichissement illicite de son entourage. Je lui ai dit, et devant témoin, parce que ma responsabilité était engagée. Je n’ai jamais fait de la complaisance avec le président. J’ai toujours été sincère pour lui faire part des difficultés", explique-t-il avant, de confier qu’il a "plusieurs fois eu l’envie de démissionner".
Mais désormais, c'est vers de nouvelles élections que se tourne la Tunisie. Et Mohammed Ghannouchi promet que ce scrutin, prévu dans six mois, sera "libre, transparent, contrôlé par une commission indépendante, et des observateurs internationaux. Ce sera la première fois depuis l’indépendance du pays", souligne-t-il. "Tous les partis seront autorisés à participer aux élections, à égalité de chances", assure celui qui s’engage à ce qu’il n’y ait "plus de favoritisme".
"C'est elle qui commandait"
Reste encore une question sur la table : Ben Ali sera-t-il jugé ? "Je ne peux pas dire cela. Dans les premières années, Ben Ali a fait beaucoup de bien à la Tunisie", a-t-il estimé. "Mais il y a eu un changement important qui s’est produit, à cause de l’enrichissement illicite de la part de son entourage". Une référence directe à la famille Trabelsi, du nom de la femme de l’ex-président, qui avait mis au point un système basé sur la corruption. "Ils auront un procès équitable. Et s’ils sont coupables, ils devront rendre à la justice", a promis Ghannouchi. "On a l’impression que c’est elle (la femme du président ,ndlr) qui commandait", a encore confié le Premier ministre.
Enfin, concernant le dossier Rached Ghannouchi, ce chef islamiste tunisien en exil à Londres, Mohammed Ghannouchi a estimé qu'il ne pourra retourner en Tunisie que "s'il y a une loi d'amnistie" effaçant sa condamnation à la prison à vie datant de 1991.