Tout est prêt pour le nouveau président afghan. La liste des invités pour la cérémonie d’investiture est bouclée. Ne reste plus qu’à envoyer les cartons d’invitations. Hamid Karzaï, qui doit céder son siège, a déjà fait ses cartons et n’attend plus que son successeur : "Beaucoup de meubles restent car ils appartiennent au palais, mais ses effets personnels ont été emballés. En particulier ses livres auxquels il tient beaucoup", a déclaré jeudi dernier le porte-parole du président toujours en exercice. Qu’attend le futur ex-chef de l’Etat afghan pour organiser la passation de pouvoir ? Simplement de connaître le nom de son successeur.
Des résultats éternellement reportés. Le deuxième tour de l’élection présidentielle en Afghanistan s’est tenu le 14 juin. Il y a deux mois et demi donc, et l’on ne sait toujours pas qui d’Abdullah Abdullah ou d’Ashraf Ghani a gagné. La Commission électoral indépendante (CEI), chargée de départager les deux candidats, n’a pas encore annoncé ses résultats. Elle a même une nouvelle fois reporté l’échéance au 10 septembre.
Plus le temps passe, plus la situation semble s’enliser. Mercredi dernier, l’équipe d’Abdullah Abdullah a quitté la table de la Commission et a d’emblée rejeté tous les résultats que l’audit mené pourra donner.
Des irrégularités presque normales. Rien, dans le premier tour du scrutin, ne laissait pourtant présager le sombre destin qui semble attendre l’élection qu’on espérait réellement démocratique en Afghanistan. En avril, huit candidats s’étaient opposés dans un vote unanimement salué comme un quasi-modèle de démocratie. "Le monde entier a salué la participation" exceptionnellement haute, se souvient pour Europe 1 Karim Pakzad, chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégies (Iris), spécialiste de l’Afghanistan, de l’Iran et de l’Irak. "Il y avait eu des fraudes, des irrégularités au premier tour. Mais ces irrégularités, dans des pays comme l’Afghanistan, étaient quasiment normales", surtout pour un pays qui organisait ses premières vraies élections.
Abdullah Abdullah était arrivé bon premier, avec 45% des voix devant son principal concurrent, Asharf Ghani qui comptabilisait 31,5% des bulletins. Avec le report des voix, selon Karim Pakzad, qui le connaît personnellement, Abdullah aurait dû gagner l’élection haut la main.
>> LIRE AUSSI - Et si c'était lui, le prochain président afghan ?
Le résultat importe peu. C’est l’inverse qui semble néanmoins se profiler aujourd’hui. Si la Commission électorale indépendante n’a pas encore annoncé le moindre résultat, il fait peu de doute qu’Ashraf Ghani sera désigné vainqueur. En fait, selon Karim Pakzad, la participation du deuxième tour n’a pas été aussi élevée que veut bien le dire la Commission, et on aurait assisté à des fraudes massives, dont des bourrages d’urnes. Ce qui pourrait expliquer la débâcle d’Abdullah Abdullah. La CEI est actuellement entrain d’écarter du scrutin les bulletins qui peuvent laisser planer un doute, afin de désigner le gagnant. Mais Abdullah Abdullah estime que l’audit n’est pas indépendant.
Pour le spécialiste de l’Afghanistan Karim Pakzad, Ashraf Ghani, le probable futur gagnant, est plus au goût des Américains qu’Abdullah Abdullah. Ghani, d’origine pachtoune, prône la discussion avec les talibans, une politique vers laquelle pousse Washington, ce qui n’est pas le cas de son concurrent, plus proche des ethnies tadjiqs et des Hazara, comme l’expliquait Libération.
Mais, peu importe, au final, le résultat de l’élection : les deux hommes feront dans tous les cas partie du gouvernement.
En effet, pour tenter d’apaiser les esprits, les Etats-Unis ont négocié une sortie de crise avec les deux candidats. Washington garde en effet un œil très attentif à tout ce qui se déroule dans ce pays où demeurent (jusqu’à la fin de l’année au moins) environ 30.000 soldats américains. John Kerry s’est rendu deux fois en Afghanistan ces derniers mois et a demandé à Ashraf Ghani et Abdullah Abdullah de s’entendre pour que l’un devienne Premier ministre et l’autre président de la République. Un gouvernement d’union nationale, pour résumer.
Créer un Premier ministre. Mais attention, explique Karim Pakzad, "le poste de chef de l’exécutif n’existe pas, à l’heure actuelle, en Afghanistan. Il faudrait donc le créer". Le véritable enjeu de l’élection n’est donc plus de savoir qui sera président, mais plutôt quels pouvoirs Abdullah Abdullah arrivera à glaner. Les négociations à ce sujet ont abouti à une impasse, a-t-on appris lundi.
Restent les grands oubliés de ce scrutin : les électeurs. Selon Karim Pakzad, "les Afghans ont cru cette fois-ci avoir le pouvoir, la possibilité, l’occasion d’aller voter", contrairement au scrutin de 2009 où la réélection d’Hamid Karzaï était jouée d’avance. La population se demande désormais où est passé son vote. Et pourrait garder cette amertume quelques années encore. En attendant, les Talibans se frottent les mains et attendent le moment opportun pour s’engouffrer dans le vide politique laissé par ces tractations sans fin. Les attentats sont en tout cas toujours quotidiens en Afghanistan, comme samedi, contre le QG des services secrets afghans à Jalalabad.
>> LIRE AUSSI - Un général américain tué lors d'une fusillade à Kaboul