L'INFO. Petit à petit, la vie reprend son cours au Mali. Neuf mois après l'opération Serval, le nouveau président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, va être investi à Bamako, en présence notamment de François Hollande. A quoi ressemble le Mali d'aujourd'hui ?
>> Fin janvier, Xavier Yvon, l’envoyé spécial d’Europe 1, s’était rendu à Gao, cette ville qui venait d’être reprise aux mains des islamistes. Neuf mois après, il y est retourné et explique ce qui a changé.
> EN IMAGES : Gao, avant et après l'intervention militaire
Le marché a retrouvé son brouhaha. Ce qui saute aux yeux aujourd’hui à Gao, c’est le brouhaha du marché. Il était désert et détruit il y a neuf mois. Désormais, c’est une ruche bruyante. Les poissons sortis du fleuve Niger frétillent à même le sol.
Les femmes sont également revenues. Elles peuvent désormais faire un geste qui était banni par les islamistes : se pencher en avant vers les commerçants qui sont assis par terre afin de choisir et négocier. Cette position était jugée indécente. C’est dire à quel point les islamistes réglaient tous les détails du quotidien.
Et en sortant du marché, l'envoyé spécial d'Europe 1 a vu cette grande place principale où l’on pratiquait les amputations, redevenue un terrain de jeux pour les enfants. Quant aux grands panneaux noirs menaçants qui faisaient l'apologie de la charia, ils sont désormais recouverts d’affichettes électorales et d'appels à la prudence face aux mines et aux explosifs.
Des femmes en boubou. Aujourd’hui, les femmes qui portent le voile à Gao sont celles qui le portaient avant l’arrivée des islamistes. Les autres ont retrouvé leur jupe, leur robe, leur boubou. On a aussi rouvert les salons de coiffure, dans la bonne humeur.
"Dans la rue, tout le monde nous regardait comme des vieilles femmes. Nous sommes jeunes. On porte des habits des jeunes. On s’amuse. On est belles encore !", affirme cette maquilleuse, ravie de ne plus avoir besoin de se voiler.
Malik, héros d'une radio locale. Il reste cependant beaucoup à faire, sur le chômage ou les services publics par exemple. Pour savoir ce qui ne va pas, les Maliens peuvent se brancher sur le 101.7, l’émission du héros d’une radio locale. Il s’appelle Malik. Tabassé en direct par les islamistes dans son studio, il a failli mourir. Depuis la libération de la ville, il continue à critiquer les nouvelles autorités et même celles qui portent des armes. "Certains militaires maliens embêtent les gens, arnaquent les gens, font de la corruption. Je dis ‘non’", dénonce-t-il. "Nous sommes en train de chercher la paix et la réconciliation. On a dit qu’il fallait que ça change. Je sais que les nouvelles autorités ne veulent pas voir me tête mais ça ce n’est pas mon problème. Pour moi l’essentiel, c’est la population. Il y a des intimidations tous les jours. Mais ça ne me fait pas peur. Ça ne me décourage pas", lance Malik.
Le gros problème qui exaspère les habitants de Gao, c’est l’électricité. Avant, ils en avaient 24 heures sur 24. Maintenant, ils ne savent pas s’il y aura cette nuit ou là nuit prochaine. La semaine dernière Malik a appelé les gens pour manifester et aussitôt, les autorités ont fait venir des techniciens. Grâce à lui, l’électricité devrait revenir dans les jours à venir.
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Une population traumatisée. Si on écoute les militaires français, il n’y a eu aucun incident depuis trois mois. Mais ces soldats français que j’ai pu suivre sortent en formation dissuasive : trois véhicules, au moins neuf hommes, gilet pare-balles, armes au poing. Le climat s'est détendu mais la population reste suspicieuse, toujours traumatisée. Cela conduit à des cas d'arrestations arbitraires : un jeune homme m'a montré sa cicatrice sur le crâne, le stigmate d’un coup de crosse d'un gendarme malien. Musulman très religieux, il a été dénoncé comme djihadiste par ses voisins.
Des soldats français qui comblent les lacunes. Au quotidien, les soldats français comblent les lacunes des autorités maliennes : reconstruction du marché, réfection d'une maternité par exemple. C’est aussi à eux que l’on doit le retour de l'eau courante en mai dernier. Mais attention, les militaires ne font pas l'humanitaire : ils assurent faire cela pour des raisons de sécurité. "A ce moment là, la population de Gao ne bénéficiait pas d’un accès à l’eau suffisant. Concrètement, on avait des quartiers qui n’avaient pas d’eau depuis cinq à six semaines, ce qui générait un certain nombre de tensions et qui risquaient de nous emmener à une dégradation de la situation de la sécurité", assure le lieutenant-colonel Fabrice.
Les prostituées de retour. A Gao, on peut maintenant sortir comme on veut. Mais l'ambiance n'a rien à voir avec celle d'avant, même si des bars ont rouvert. Et il y a un un signe qui en dit long, selon un journaliste local : les prostituées, premières à partir à l'arrivée des islamistes, sont de retour.