Un naufrage collectif. Ils étaient une vingtaine de proches des victimes du naufrage du Sewol. Une vingtaine de parents et amis écrasés de douleur et excédés par la gestion du naufrage puis des opérations de sauvetage. Des sentiments qui les ont poussés à faire irruption dans le bureau de Choi Sang-Wang, le directeur-adjoint des gardes-côtes, à le rouer de coups, lui déchirer sa chemise, le traîner jusque devant le bâtiment. Un épisode anecdotique qui trahit cependant l’état d’extrême frustration dans lequel se trouvent ces familles, mais aussi tout le pays depuis l’annonce de la catastrophe. En cause, l’attitude du capitaine et de son équipage au moment du naufrage, mais aussi des pouvoirs publics.
Flottement parmi les membres d’équipage. Les enregistrements des conversations entre les membres de l’équipage du Sewol illustrent l’indécision qui a plané au moment de prendre la décision d’évacuer. Au moment où ils lancent les canots de sauvetage, il est déjà trop tard. Le navire est déjà trop incliné pour pouvoir tous les mettre à l’eau. Un seul des 46 canots pourra être utilisé. Avec les conséquences mortelles que l’on connaît pour le reste des passagers. Sur les 476 personnes embarquées, 174 seulement ont rejoint la côte. Depuis, le capitaine du navire a été arrêté. Il fait l’objet de la vindicte populaire, même la présidente de la République sud-coréenne l’accusant de "meurtre". Une tentative de "prendre ses distances" avec la responsabilité de ce drame, explique le correspondant du Monde à Tokyo Philippe Mesmer.
Incurie des pouvoirs publics. Une tentative vaine, puisque outre l’équipage, les pouvoirs publics ont également alimenté le ressentiment des familles de victimes, ce qui explique l’agression subie par le directeur-adjoint des gardes-côtes aujourd’hui. Communication lacunaire, opérations de sauvetages limitées par les forts courants et l’opacité de l’eau, à mesure que l’espoir s’amenuisait pour les proches étreints par l’inquiétude, la colère est montée. Une colère nourrie encore un peu plus par l’incurie des pouvoirs publics.
Demandes d’autopsies pour éclaircir les conditions des décès. Dans les premières heures après l’accident, ce sont des plongeurs volontaires et non les sauveteurs qui remontent les corps. Le centre national de gestion des crises à du suivre le début des interventions à la télévision faute de moyens, et l’armée n’a même pas pu utiliser le premier navire de sauvetage en mer conçu en 2012. De nombreuses familles ont d’ailleurs la conviction que leurs proches sont morts non secourus alors qu’ils étaient encore dans le bateau, réfugiés dans des poches d’air. C’est la raison pour laquelle beaucoup ont demandé les résultats de l’autopsie à l’institut médico-légal chargé d’identifier les corps récupérés .
Fort taux de décès par accident. Enfin, les estimations données par les autorités fait grandir la frustration des familles. A l’origine, les sauveteurs estimaient que 368 personnes seraient secourues. Ce fut finalement deux fois moins. Ces dysfonctionnements font écho à de nombreux autres drames qui ont émaillé l’histoire récente du pays. Un premier naufrage de ferry déjà, en 1993, qui avait fait 293 morts. L’effondrement d’un grand magasin à Séoul où 500 personnes avaient perdu la vie, et un accident de métro à Daegu, où le bilan s’élevait à 193 morts. Aujourd’hui, la Corée du Sud est le pays de l’OCDE avec le plus fort taux de décès par accident.
Suicide. Chez les survivants aussi le traumatisme est profond, puisque le directeur adjoint du lycée où étaient scolarisés nombre de naufragés (280 élèves en sortie ont trouvé la mort dans le Sewol) a été retrouvé pendu à un arbre quelques jours après le drame. Le PDG de la société propriétaire du ferry a exprimé ses regrets publiquement, accablé par la honte. Plusieurs fois, les gardes-côtes qui venaient informer les familles ont été pris à parti par celles-ci. Mais l’agression subie par le directeur-adjoint des gardes-côtes ce jeudi trahit la profondeur de ce sentiment de rancœur et d’impuissance.