Peut-être Paris pensait-elle que les critiques se tasseraient avec le temps. Loupé. A la veille de la rencontre tant attendue entre Vladimir Poutine et plusieurs de ses homologues occidentaux, l’affaire du contrat Mistral reste un fil rouge des discussions sur la crise ukrainienne. Vendre deux navires de guerre à la Russie au beau milieu de tensions militaires, la pilule passe mal.
Il était une fois, un contrat signé en 2011...
A peine les premières sanctions occidentales annoncées contre la Russie, l’existence des contrats militaires entre la France et la Russie avait été rappelée au bon souvenir de François Hollande.
Bien avant le début des manifestations qui ont mené à la chute du président ukrainien et à la crise actuelle, la France s’était engagée en 2011 à livrer deux "bâtiments de projection et de commandement" Mistral à Moscou. Les deux navires, capables d’envoyer des missiles anti-aériens comme de faire atterrir un hélicoptère, rapportent la bagatelle de 1,2 milliard d’euros à Paris, qui doit livrer la commande pour octobre 2014.
Au moment des négociations entre la Russie et la France, le chef d’état major de la marine s’enthousiasmait des performances des navires Mistral. Ils auraient permis de déstabiliser la Géorgie "en quarante minutes au lieu de 26 heures" en 2008. A la lumière de l'invasion masquée de la Crimée, la citation est éloquente. Comble de l’ironie, l’un des deux navires s’appellera le Sebastopol, du nom du port militaire russe en Crimée.
... qui fait tache dans le dossier ukrainien...
Ce contrat d’armement fait tache à côté des sanctions diplomatiques et économiques imposées par les Occidentaux, dont la France elle-même. Mercredi, Varsovie a fermement demandé à Paris de ne pas livrer les deux navires Mistral à la Russie. "Les généraux ont déjà dit à quelle fin ils comptaient utiliser ces navires : pour menacer les voisins de la Russie dans la mer Noire. Et il s’agit de pays partenaires de l’Europe", a plaidé Radoslaw Sikorski, ministre polonais des Affaires étrangères. "Quand des pays s’emparent par la force d’une partie du territoire de leurs voisins, ce n’est pas le meilleur moment pour leur fournir un armement sophistiqué", a-t-il continué.
Avant même la Pologne, la secrétaire d’Etat adjointe américaine pour l’Europe a "de manière régulière et constante, exprimé [ses] inquiétudes à propos de cette vente", le 8 mai. François Hollande avait affirmé, en marge de sa visite en Azerbaïdjan, que "ce contrat a été signé en 2011, il s’exécute et il trouvera son aboutissement au mois d’octobre prochain. Pour l’instant, il n’est pas remis en cause". Son entourage, plus ferme, a affirmé qu’il serait honoré.
... mais qui assure l'avenir d'une ville française
La possibilité d’utiliser ce contrat comme moyen de pression, voire de l’annuler purement et simplement a bien sûr été évoquée, par Laurent Fabius lui-même, mais elle n’est pour l’instant pas à l’ordre du jour. Cela n’arrivera qu’avec l’activation du troisième pallier de sanctions. Les mesures de répression actuelles sont qualifiées de niveau 2 par les diplomaties occidentales.
De son côté, s'il a commencé par mettre la pression sur la France en lui promettant des pénalités financières si elle annulait le contrat, Vladimir Poutine a adopté depuis quelques jours la stratégie inverse et lui fait les yeux doux. Jetant de l'huile sur le feu juste avant les cérémonies de commémoration du 6-Juin, le dirigeant russe s’est dit "prêt éventuellement à signer de nouvelles commandes". Une aubaine économique à saisir pour les chantiers navals de Saint-Nazaire, où le contrat russe a permis de maintenir au moins 600 emplois. Le poids de la realpolitik.
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