L'analyse. Qui sont vraiment les islamistes de Boko Haram qui terrorisent le Nigeria et ont enlevé 276 lycéennes, provoquant une vague indignation internationale ? Vincent Hugeux, grand reporter à L’Express et spécialiste de l’Afrique, revient sur la stratégie de Boko Haram dans le nord du pays, une zone où le pouvoir d'Abuja peine à affirmer son autorité.
Pourquoi Boko Haram a-t-il choisi d'enlevé des lycéennes ? "Le souci prioritaire [de Boko Haram] est d'avoir un très fort impact au Nigeria, et pas forcément sur la scène internationale. C'est aussi un message adressé au pouvoir nigérian : 'nous pouvons frapper où nous le voulons, quand nous le voulons'. C'est une façon d'humilier les forces d'armées et de police qui jusqu'alors ont surtout brillé par leur brutalité ou leur apathie. La misère et la violence des forces de l'ordre constituent le meilleur sergent recruteur pour un mouvement de cette nature.
Les jeunes filles enlevées apparaissent aussi comme un produit d'appel, une sorte d’appât pour recruter de nouveaux djihadistes. La situation est tellement désastreuse dans le nord du pays que ces jeunes gens ont très peu de chance de pouvoir se marier. Au fond, c'est aussi leur promettre d'avoir une épouse à leur dévotion en rejoignant les rangs de cette secte islamiste.
Comment expliquer que Boko Haram se fixe ainsi au Nigeria ? Boko Haram a une véritable base sociale. Il y a au nord du Nigeria des gens qui sont exaspérés par la corruption, qui ravage ce colosse au pied d'argile, par l'attitude brutale ou inerte des forces de l'ordre. Le message de Boko Haram peut nous apparaître extravaguant, mais ce n'est pas dénué de portée locale.
Pouvoir, religion : que recherche au fond Boko Haram au Nigeria ? Le but du fondateur, Mohamed Youssouf, était relativement lisible : l'instauration, dans le nord du Nigeria, d'un émirat islamique qui perpétuerait les valeurs d'un islam des premiers temps, complètement fantasmé. Avec Abubakar Shekau, son successeur, le but semble être la déstabilisation de l'Etat nigérian, sans qu'il y ait un agenda politique digne de ce nom.
La grande hantise des stratèges de l'anti-terrorisme, c'est qu'il y ait des liens entre Boko Haram et AQMI [Al-Qaïda au Maghreb islamique]. Il y a des contacts entre eux, mais il n'existe pas de grande machinerie tentaculaire. Il ne s'agit pas de bloc homogène. Il y a des galaxies, des cellules autonomes. Selon un rapport de l'International Crisis Group, Abubakar Shekau n'a d'ailleurs pas autorité sur tous les chefs de cette galaxie, dont le noyau dur est estimé à plusieurs milliers de personnes.
NIGERIA - Boko Haram veut échanger les lycéennes contre des prisonniers
TÉMOIGNAGE - "Furieux", un père dénonce le chantage de Boko Haram
POINT DE VUE - "Les Occidentaux font le jeu de Boko Haram"
ZOOM - Boko Haram, "une secte qui s'appuie sur un business florissant"